LA TRAQUE : chronique

26-04-2020 - 10:25 - Par

LA TRAQUE : chronique

Thriller haletant, récit d’anticipation et chronique sociale : LA TRAQUE explore l’âme de la jeunesse coréenne en la confrontant à la mort. À ne pas manquer.

 

Ces dernières années, le cinéma coréen a envoyé nombre de signaux alarmants sur la jeunesse coréenne : sa difficulté à se loger ou à se nourrir, à trouver sa place dans une société extrêmement hiérarchisée, à trouver un but. Voilà trois ans, le sublime MICROHABITAT (disponible sur la plateforme Outbuster et bientôt en Blu-ray chez Spectrum) prenait la voie du néo-conte naturaliste pour aborder le sujet. L’an passé, le survitaminé EXIT (inédit chez nous, projeté au Festival du Film Coréen à Paris l’automne dernier) prenait le relais en embrassant, lui, les genres casse-gueule du film catastrophe et de la comédie d’action pour dépeindre une jeunesse sans repères ni perspective d’avenir. 2020 sera sans aucun doute marqué par le point de vue radical de Yoon Sung-hyun dans LA TRAQUE, son deuxième long après LA FRAPPE (2010), puisqu’il choisit le thriller et le récit d’anticipation.

Dans un futur proche, après une crise économique dévastatrice ayant encore un peu plus creusé les inégalités, Jang-ho et Ki-hoon retrouvent leur ami Jun-seok à sa sortie de prison. Pour échapper à la misère, Jun-seok leur demande de l’aider à braquer un casino clandestin. Pour cette mission à haut risque, ils s’associent à une de leurs connaissances, Sang-soo, serveur au casino… LA TRAQUE n’est pas un énième film de casse, avec ses règles, ses codes et ses passages obligés. Le braquage, s’il survient au bout de trente minutes après une exposition soignée de l’univers et des personnages, n’est que le point de départ du film. Car après leur forfait, les quatre amis se retrouvent poursuivis par Han, un tueur à gages implacable lancé à leurs trousses par les criminels qu’ils ont détroussés…

LA TRAQUE impressionne par la manière avec laquelle Yoon met en scène son univers et son histoire. Le récit d’anticipation ne s’embarrasse d’aucune fioritures : jamais la caméra ne s’aventure au-delà du cercle des quatre amis. Si bien que seuls les décors, choisis et habillés avec soin, racontent cette crise sociale, économique et humaine qui gangrène la Corée. Dans ces ruines encore fraîches, Yoon organise comme un purgatoire où Jun-seok, Jang-ho, Ki-hoon, Sang-soo et Han apparaissent souvent comme les seuls êtres humains encore en vie – en dépit de quelques apparitions de personnages secondaires. Tous se débattent avec le temps qui passe, la mort qui pointe, la nécessité de se battre ou pas. Bien que LA TRAQUE ménage nombre de scènes spectaculaires d’une efficacité brute, il demeure le récit intime du parcours mental et émotionnel des personnages. Portés par une musique redoutable composée par l’artiste hip-hop Primary et baignés dans des choix visuels marquants – une photographie usant avec brio d’éclairages contrastés et de filtres de couleurs – les personnages se révèlent peu à peu, à la fois dans le dialogue et le silence, dans leurs choix et ce qu’ils subissent.

Qu’il embrasse la réalité ou le cauchemar, Yoon ménage des instants de poésie, comme cette bataille de feux d’artifice sur la plage, et capte sans fard la tragédie qui se joue. Son triomphe réside dans ce qu’il fait émerger de cette traque violente et sans fin : l’élégie tout d’abord, une mélancolie intemporelle de la perte et des leçons qu’on en tire ; l’énergie du désespoir ensuite, une nécessité de ne pas se laisser écraser par l’adversité, d’affirmer sa place, même dans le chaos. LA TRAQUE réussit alors cet exploit de trouver lui-même sa singularité dans un récit que d’aucuns aurait pu croire, a priori, éculé et générique.

De Yoon Sung-hyun. Avec Lee Je-hoon, Choi Woo-sik, Ahn Jae-hong, Park Jung-min, Park Hae-soo. Corée du Sud. 2h14. Disponible sur Netflix

4Etoiles

 

 

 

 

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