HOLLYWOOD : chronique

29-04-2020 - 17:32 - Par

HOLLYWOOD : chronique

Après la politique américaine dans THE POLITICIAN, Ryan Murphy s’attaque au cœur du réacteur en décapant à coup d’anti-cynisme et de mélancolie l’industrie hollywoodienne. Impressionnant.

 

De Ryan Murphy on connaît le style et la provocation. Esthète pop, showrunner adulé, le créateur a imposé depuis NIP/TUCK son goût très postmoderne des fictions criardes et retorses. Inclusive et politique, son œuvre a toujours regardé l’Amérique de travers avec un mauvais esprit réjouissant. Cette ère semble révolue. Si HOLLYWOODraconte l’âge d’or du cinéma américain, la fabrique de l’usine à rêve, les aspirants acteurs/actrices, les tournages à la chaîne, les agents crapuleux, ce n’est pas pour se repaître de la crasse d’un milieu. Non, HOLLYWOODregarde hier pour mieux nous regarder en face. À travers l’histoire de ce jeune aspirant acteur (David Corenswet) qui croise la route d’un jeune scénariste afro-américain gay (Jéremy Pope), d’un réalisateur idéaliste (Darren Criss) et d’une jeune actrice afro-américaine (Laura Harrier), toute une bande de personnages marginalisés,  Ryan Murphy et son co-créateur Ian Brennan réenchantent l’Histoire. HOLLYWOODest le récit d’une utopie. L’histoire d’un monde où Hollywood donnerait enfin la parole à celles et ceux que l’industrie a poliment effacés de ses rêves de celluloïd.

Cette tartufferie d’Hollywood, Murphy la raconte en s’appuyant sur des faits réels, des figures connues, artisans et victimes de ce monde ‘polissé’ blanc et hétérosexuel. Ce qui paraîtra énorme à certains, une nouvelle provocation ‘à la Murphy’ à d’autres, n’est en fait qu’une subtile leçon d’histoire de l’autre Hollywood, celui des acteurs-gigolo, des soirées gay clandestines chez George Cukor, des producteurs misogynes, des agents prédateurs qui usaient et abusaient de jeunes acteurs et actrices dans le placard. En s’appuyant sur ces faits, en convoquant certaines figures connues (Henry Wilson, le funeste agent de Rock Hudson, connu pour avoir abusé de ses clients, George Cukor, Vivien Leigh, la station-service du proxénète hollywoodien Scotty Bowers…), Ryan Murphy peut alors s’élancer avec d’autant plus d’élan vers la lumière. Magnifiquement, la série déploie à partir de cette noirceur véridique les possibilités d’un autre monde, d’un autre Hollywood et offre à ses héros le spotlight dont ils rêvaient. Ce pourrait être un geste puéril, une sorte de réécriture de l’Histoire totalement naïve, c’est au contraire un précipité de mélancolie. L’émotion profonde qu’on ressent devant HOLLYWOOD, c’est celle de la certitude d’un monde qui n’a (toujours) pas lieu. C’est nous qui sommes en conflit avec la série, nous qui savons pertinemment que tout ceci n’existe pas. Murphy nous invite à regarder HOLLYWOODcomme une utopie dont notre époque serait la terrible uchronie. L’effet est saisissant, désarmant et nous oblige, à l’instar du final de ONCE UPON A TIME… IN HOLLYWOOD à penser la fiction comme un pur geste élégiaque, une envie de panser les blessures de l’Histoire.

Mais là où Tarantino, en cinéaste maniériste et cinéphile s’enferme dans les blessures du passé, Murphy pense HOLLYWOODcomme un poing levé. Directement adressé à l’industrie contemporaine et à son manque de diversité, à ses mensonges et ses erreurs, HOLLYWOODréinvente le passé pour mieux inciter à changer le présent. Une charge directe, parfois pas subtile dans ses effets, mais terriblement efficace, pour questionner le manque de diversité d’une industrie qui prétend fabriquer l’imaginaire du monde. À la colère, le cynisme, l’aigreur de certains commentateurs de la pop culture, Ryan Murphy répond par la cohésion, par la croyance dans les pouvoirs de la fiction et la mélancolie qui va avec. Une mélancolie jamais passéiste mais galvanisante, qui fait de ces personnages d’hier, de ces personnages de fiction, des modèles à inventer pour demain. Sublime.

De Ryan Murphy et Ian Brennan. Avec David Corenswet, Darren Criss, Laura Harrier, Jeremy Pope, Joe Mantello, Jim Parsons, Patti LuPone… Etats-Unis. 7x52mn. Sur Netflix le 1ermai

 

 

 

 

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