THE KING OF STATEN ISLAND : chronique

22-07-2020 - 14:58 - Par

THE KING OF STATEN ISLAND : chronique

Pour son nouveau film, Judd Apatow délaisse le cool potache pour le portrait rugueux et tendre d’une vie en suspens. Un grand film sur le deuil déguisé en comédie de la lose, porté par la révélation Pete Davidson. Très beau.

 

THE KING OF STATEN ISLAND n’est pas une comédie ; pourtant on y rit beaucoup. Ce n’est pas un mélo non plus mais on pourrait fondre en larmes au détour de chaque scène. Fragile équilibre entre la comédie et le drame, cherchant constamment le rythme lâche de ce qui fait une vie, le nouveau film de Judd Apatow raconte l’histoire d’un type qui ne sait pas vraiment pourquoi il tient debout. Un personnage flottant qui rêve de se laisser aller à n’être rien. Plus « freaks » que « geeks », Scott vit à la marge dans cet endroit en périphérie de New York qu’est Staten Island. Un monde proche de tout et pourtant déjà trop loin qu’Apatow filme comme un vase clos, à l’image de son personnage incapable d’aller voir ailleurs. Entouré de sa bande de potes, gentils losers de canapé (avec notamment Moises Arias, hilarant et poétique), Scott traîne, de palabres en punchlines, trafique sans ambition et promène son corps dégingandé dans un monde figé dans le temps. Délicatement, Apatow fait les présentations. Mais quelque chose a changé. Son petit cirque de losers magnifiques habituel cherche, pour la première fois peut-être, à vraiment épouser la solitude, la singularité de son personnage et non à en faire un objet de comédie. Le monde change mais pas Scott. Il le sait, il le voit mais pourtant il n’arrive pas à avancer. Là où, auparavant, les films confrontaient très tôt les personnages régressifs d’Apatow à un changement forcé, cette fois-ci le réalisateur reste du point de vue de son héros bloqué et regarde avec lui le monde continuer sa course. Dès lors, chacune de ses saillies, de ses débordements de colère ou de mauvaise foi font rire, évidemment, mais avec une pointe de mélancolie qui serre la gorge. Délicatement, en face, les beaux personnages féminins (sa mère, la toujours juste Marisa Tomei ; sa sœur, Maude Apatow, bouleversante ; sa petite amie, formidable Bel Powley) avancent, lui lâchent la main, résolus enfin à vivre. THE KING OF STATEN ISLAND est l’histoire d’un retour à la vie mais du point de vue de celui qui reste à quai. Ce pourrait être cruel et pourtant, miraculeusement, le film échappe à toute injonction, à tout jugement sur ces personnages. Comme libéré de la dramaturgie attendue, Apatow les suit et nous laisse le temps – grâce à la durée (2h17) – de comprendre les nuances de leurs relations. Petit à petit, c’est évidemment le grand absent – le père, pompier décédé – qui occupe toute la place et donne la clé pour comprendre, en partie, les impasses de Scott. Rarement film aura touché aussi juste sur les douleurs invisibles du deuil et la façon dont la perte est une fêlure qui ne guérit jamais. Inspiré de l’histoire personnelle de Pete Davidson, le film est tout entier dévoué et dédié à sa force et sa fragilité. Un génial interprète, dont chaque regard, chaque geste, chaque intonation apportent mille nuances à ce personnage cabossé. Par lui et l’ensemble du cast, par cette écriture sensible et rugueuse, on a la sensation rare de voir un film ouvert, nuancé, complexe sur ce que c’est qu’être vivant, malgré tout. 

De Judd Apatow. Avec Pete Davidson, Marisa Tomei, Maude Apatow, Bel Powley, Bill Burr, Steve Buscemi. États-Unis. 2h17. Sortie le 22 juillet

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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