MADRE : chronique

22-07-2020 - 15:03 - Par

MADRE : chronique

Le réalisateur espagnol derrière QUE DIOS NOS PERDONE et EL REINO adapte en long-métrage son court nommé aux Oscars.

 

Une leçon de mise en scène, le court-métrage MADRE, cité aux Oscars en 2019 : une femme (Marta Nieto), vivant en Espagne, recevait un appel de son tout jeune fils, parti en vacances dans les Landes avec son père. Mais la mère comprenait rapidement que seul et totalement perdu sur la plage, Ivan était en proie à tous les dangers. Et effectivement, après de longues minutes où la panique la gagnait, un temps distendu par un plan séquence et un grand angle écrasants, tout contact avec son fils se rompait subitement. Ce film, de 19 minutes, est devenu l’exposition du long-métrage. Pourtant, MADRE, le long, n’empreinte pas la route du thriller toute tracée. Il foule les terres délicates du psychodrame, du mélodrame, effleure les contours d’un roman sulfureux. On retrouve Elena dix ans plus tard, toujours en quête de son fils, sur les lieux de sa disparition. Elle y vit, elle y travaille, endeuillée par l’impuissance, drapée dans l’absence d’elle-même. Elle scrute parfois les hautes herbes où son fils s’est évanoui. Que s’est-il vraiment passé ? Où était le père quand le drame a eu lieu ? Rodrigo Sorogoyen garde le mystère. Puisqu’Elena est muselée par la douleur, il redouble de pudeur pour, lui non plus, ne rien dévoiler. Elle parlera quand elle voudra ; en attendant Marta Nieto déroule un jeu retenu et subtil, où mille souffrances apparaissent derrière des sourires évasifs. Pendant les vacances d’été, quelque chose va peut-être changer : elle fait la connaissance de Jean (Jules Porier), un adolescent dont les traits et la silhouette lui évoquent ce que son fils aurait pu devenir avec 10 ans de plus. Elle va se rapprocher de lui, nouer avec ce garçon de 16 ans, une relation que personne ne peut comprendre. Jean, bien sûr, en pince pour elle. Elle laisse faire, prend soin de lui, alors que le regard de son petit ami, d’abord compréhensif, se durcit et que les parents de l’adolescent y voient une entorse à la morale. Peut-être même à la loi. Elena apprend ce qu’est la liberté de l’adolescence, rattrape les dix ans qu’elle a perdus – elle et nous avons sûrement vécu la même ellipse. Sorogoyen capture ces immenses paysages paradisiaques et monstrueux au fish eye, faisant d’Elena la prisonnière d’un immense vide. Le film la confronte à l’autodestruction pour l’aider à se reconstruire et nous perd dans son monde sans repère, où il nous faut dessiner nos propres limites. Elena est une héroïne difficile à comprendre mais Sorogoyen lui dédie un film entier pour qu’on apprenne à l’aimer. Il va chercher le cinéma de genre dans les scènes les plus banales d’une vie de perdition. Bouleversant jusqu’aux dernières secondes.

De Rodrigo Sorogoyen. Avec Marta Nieto, Jules Porier, Anne Consigny. Espagne. 2h09. Sortie le 22 juillet

4Etoiles

 

 

 

 

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