LE DIABLE, TOUT LE TEMPS : chronique

16-09-2020 - 18:44 - Par

LE DIABLE, TOUT LE TEMPS : chronique

LE DIABLE, TOUT LE TEMPS, adaptation du « southern gothic » de Donald Ray Pollock, est peut-être en dessous de ce qu’on avait toujours fantasmé, il n’en reste pas moins une ambitieuse fresque de la violence en Amérique.

 

Le roman de Donald Ray Pollock possède une force évocatrice puissante. La descente aux enfers proposée par « Le Diable, tout le temps » est sans rappel : le spectateur chute dans les abîmes de l’Amérique, pays où la religion et le meurtre sont des secondes natures. Donald Ray Pollock habite dans le fin-fond de l’Ohio et c’est même là qu’il est né. Il a travaillé dans une usine de papier et comme chauffeur poids lourd jusqu’à l’âge de 50 ans, âge auquel il a décidé de se former à l’écriture. Après un premier recueil de nouvelles (« Knockemstiff » du nom du patelin où il est né et a grandi), il publie, à 57 ans, « Le Diable, tout le temps » (titre original : « The Devil all the Time »). L’histoire entrecroisée de Willard Russell, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, de sa femme, de son fils Arvin, d’un prêcheur aux sermons fiévreux, d’un flic pourri, d’un photographe amateur et de sa copine qui trucident des auto-stoppeurs et d’autres hillbillys à l’instinct de survie hypertrophié voire hypersensible. Dans l’écosystème du livre, la vie des uns signe sans procès, sans vergogne, la mort des autres. « Le Diable, tout le temps » est un mélange miraculeux entre le génie des premiers romans et l’expérience du fringant quinquagénaire qui l’a écrit. Donald Ray Pollock écrit comme s’il couchait sur papier toutes les sales légendes sur lesquelles les villes de bouseux font prospérer leur mystique, comme s’il exorcisait toutes les horreurs qu’on aurait pu lui raconter pour l’endormir.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Williard (Bill Skarsgård) rentre en Ohio et épouse Charlotte (Haley Bennett), qui tombera rapidement malade. Il prie sur un autel de fortune, forçant son fils à implorer Dieu. Non loin, Helen (Mia Wasikowska), que Williard aurait dû épouser s’il avait écouté ses parents, se marie avec Roy Laferty (Harry Melling), un prédicateur en liaison directe avec le Tout-Puissant. Et Sandy (Riley Keough) et Carl (Jason Clarke) ramassent des jeunes hommes sur le bord de la route, leur faisant croire à un trajet hospitalier et romantique. Bien plus tard, cette chienne de vie tend un piège à Arvin, le fils de Williard, et à Lenora, la fille d’Helen, inséparables amis : sont-ils voués à revivre la vie de leurs parents ? Est-ce même une question qui leur appartient ? LE DIABLE, TOUT LE TEMPS, inspiré des sagas du cinéma classique américain (par Cimino ou par Coppola) et de leurs questions sur la passation de la violence entre générations, n’a pas les audaces des précédents films d’Antonio Campos, plus inspirés d’un certain cinéma européen. Il s’agit ici d’iconiser les décors américains, les petites villes, de rendre hommage à l’inconscient cinématographique. Peut-être y a-t-il même une petite dimension méta qui s’ignore dans cette fresque américaine au pied de la lettre. Même les visages des actrices, diaphanes et fragiles, rappellent les Meryl Streep et les Diane Keaton de l’époque… Robert Pattinson, ses tics de bouche, sa voix de fausset, désire créer un grand méchant de Noir et Blanc. C’est l’un de ses rôles les plus osés pour l’une de ses performances les plus étranges. Le film culmine dans un face-à-face avec Tom Holland, qui déploie une puissance de jeu inédite chez lui à ce jour. L’amour du romanesque, du cinéma au carré transpire de tout l’écran.

Le film est fidèle au roman. Peut-être pas dans l’agencement des faits mais la sève est intacte, toujours poisseuse. Sous ses oripeaux de film grand public, boosté aux acteurs de l’écurie Marvel et la star du prochain BATMAN, LE DIABLE, TOUT LE TEMPS affiche la noirceur des Americana morbides, étripant la culture de la violence qui pourrit le pays puritain, renvoyant dos à dos les serial killers et les pasteurs, les prières et les insultes, la guerre qu’on mène ailleurs et celle qu’on fait régner chez soi. Peut-être pas le l’adaptation underground et cradingue qu’on aurait espérée si l’on est fan du livre, mais un film méchant et cruel qui lui rend parfaitement honneur.

D’Antonio Campos. Avec Tom Holland, Robert Pattinson, Jason Clarke, Riley Keough, Mia Wasikowska. Etats-Unis. 2h10. Le 16 septembre sur Netflix

4Etoiles

 

 

 

 

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