LE BLUES DE MA RAINEY : chronique

18-12-2020 - 10:48 - Par

LE BLUES DE MA RAINEY : chronique

Les performances de Chadwick Boseman et de Viola Davis font de cette adaptation d’August Wilson du cinéma-géant.

 

Après avoir réalisé FENCES, déjà tiré d’August Wilson, Denzel Washington, garant de l’héritage du dramaturge au cinéma, continue son travail dantesque d’adaptation en portant à l’écran, en tant que producteur, « Ma Rainey’s Black Bottom ». Dans le « décalogue » wilsonien, qui témoigne de la vie afro-américaine à Pittsburgh à chaque décennie, il s’agit de la pièce qui se déroule dans les années 1920… à Chicago. L’auteur entendait ainsi raconter l’exode des artistes noirs du Sud au Nord et la manière dont ils étaient traités par l’industrie. C’est également la seule pièce des dix à s’intéresser à une figure ayant réellement existé, en l’occurrence Ma Rainey, mère du blues, bi-sexuelle, puissante vendeuse de disques. Malgré son préambule musical dans la luxuriante nature de Géorgie en 1927, puis sur une scène de Chicago pour caractériser brièvement mais efficacement les rapports de force entre les protagonistes, LE BLUES DE MA RAINEY se veut fidèle à la pièce et à son unité de temps et de lieu ; entre le studio d’enregistrement et le sous-sol de répétition, le récit suit les quelques heures qu’il faut à Ma Rainey (Viola Davis) pour graver son vinyle de ses chansons fiévreuses, ses discussions à couteaux tirés avec ses producteurs, et les conversations amicales puis tendues entre Levee, ambitieux trompettiste (Chadwick Boseman), Cutler, tromboniste (Colman Domingo), Toledo le pianiste (Glynn Turman) et Slow Drag le contrebassiste (Michael Potts). Sous les invectives et le ping-pong verbal, fidèlement retranscrits des écrits d’August Wilson, reconnu pour son art du dialogue et du monologue, se dessinent l’expérience quotidienne des Noirs américains avec le racisme systémique, les stigmates de l’esclavage et l’exploitation commerciale de leurs talents au profit des Blancs – et donc la réappropriation de la musique noire par la chanson populaire américaine. Avantage évident du format cinéma : être aux premières loges des performances enflammées de Viola Davis et Chadwick Boseman. La première, pulpeuse, massive, suintante, occupe tout l’espace de sa voix phénoménale et de son regard terrible ; ses dents en or et ses volumineux manteaux lui donnent des airs de dragon fabuleux. Le second plonge son personnage dans un délire exalté, débite des tirades habitées et, parce qu’il est le seul à faire de Dieu le témoin passif du sort des Noirs en Amérique, élève à lui seul MA RAINEY au niveau des plus universelles tragédies grecques. Autant de fulgurances qui trouvent écho dans la photographie dense et ardente de Tobias Schliessler. Sur scène comme en film, MA RAINEY est désormais un monstre de dramaturgie.

De George C. Wolfe. Avec Viola Davis, Chadwick Boseman, Colman Domingo. États-Unis. 1h34. Le 18 décembre sur Netflix

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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