ZACK SNYDER’S JUSTICE LEAGUE : chronique

15-03-2021 - 18:00 - Par

ZACK SNYDER’S JUSTICE LEAGUE : chronique

Du cœur, du spectacle, de la gravité, de l’incarnation : l’Histoire ne se souviendra que de cette JUSTICE LEAGUE-là.

 

« T’es vraiment dingue ! », lâche Aquaman à Batman en plein morceau de bravoure. Il pourrait tout aussi bien s’adresser à Zack Snyder, qui a cru pouvoir donner vie à sa vision pour JUSTICE LEAGUE, opératique et vibrante, dans le paysage souvent lisse du comic book movie, dominé par le souci d’efficacité de Marvel. En réalité, les « dingues », ce sont les anciennes instances dirigeantes de Warner qui, devant cette proposition de cinéma, ont préféré l’araser peu à peu jusqu’à la faire totalement disparaître derrière celle, bouffie de nullité et de platitude, de Joss Whedon. Tout le monde savait que JUSTICE LEAGUE avait été sérieusement remanié par le créateur de BUFFY mais l’ampleur véritable de cette relecture restait un mystère. Le JUSTICE LEAGUE sorti en salles en 2017 et ZACK SNYDER’S JUSTICE LEAGUE ne sont tout simplement pas les mêmes films, au point que les rares scènes qu’ils partagent diffèrent souvent radicalement – soit par la dynamique du montage, soit par les effets visuels, soit parce que Whedon les avait retournées pour un résultat qu’on connaît.

Bien que leurs intrigues soient similaires, les deux films divergent tant que les problèmes initiaux de JUSTICE LEAGUE se retrouvent ici le plus souvent balayés. Certes, Snyder a pour lui une durée de 4 heures, forcément complaisante par endroits, mais qui permet de mieux installer son récit, de laisser respirer chaque nœud dramatique, de trouver le bon rythme pour les quelques saillies d’humour, de faire exister chaque personnage. Ainsi, Cyborg et The Flash ne sont enfin plus sacrifiés. Le premier, totalement mis au silence en 2017, s’affirme ici en pilier et en ancre émotionnelle, voire en symbole politique. Dans un film qui soigne l’écriture de ses héros, son arc narratif se révèle particulièrement fouillé. Quant à Barry Allen, il bénéficie d’une scène de présentation remarquable, bijou de caractérisation par l’action et l’humour, puis d’un des plus beaux moments du climax. Mais au-delà, l’un des soucis majeurs de JUSTICE LEAGUE 2017, à savoir son manque d’incarnation dû à l’absence à l’image du monde humain et de ses habitants, finit ici justifié par le propos même de l’histoire et par son point de vue. Comme dans MAN OF STEEL et BATMAN V SUPERMAN, dont son JUSTICE LEAGUE est l’aboutissement, Zack Snyder filme des Dieux isolés d’une société humaine dans laquelle ils peinent parfois à exister pleinement. Pourtant, ils tentent à chaque instant de la préserver. La League protège les Humains d’un danger qui menace, d’une attaque qui n’a pas encore eu lieu et pour cela, est prête à aller « combattre le Diable et son armée en Enfer ». Cette solitude, cette séparation nette d’avec le monde, se place au centre de la dramaturgie. Et la dramaturgie, au centre du film. Contrairement à nombre de blockbusters contemporains, ZACK SNYDER’S JUSTICE LEAGUE n’est pas qu’intrigue – en dépit de quelques scènes explicatives trop fonctionnelles. Il n’est au contraire que drame, histoire, personnages et ce, dès sa première scène où le cri de douleur d’un Superman agonisant dans son combat contre Doomsday balaie littéralement le monde, telle une onde de choc.

Dès lors Snyder va soigneusement creuser son sujet et explorer la relation des Dieux aux Hommes et inversement. En fait-il trop ? Oui, parfois. Souvent, même. Mais comment filmer ces divinités si ce n’est en soulignant par des ralentis ostentatoires la grâce de leurs mouvements, l’ampleur de leurs exploits ? Comment ne pas laisser la caméra tomber en pâmoison ? Tout n’est pas qu’outrance bien sûr, à l’image de cet instant suspendu de pur folklore où une jeune Islandaise chante à la gloire d’Aquaman. Mais Snyder fait très clairement dans l’homérisme jusque dans les séquences d’action, parcimonieuses, mais chacune en forme de spectacle total. Il convoque un opératisme qui seul, peut rendre justice à la noblesse de ses héros et à la douleur de leur sacrifice. Il insuffle du poids à chaque cadre, comme si chaque composition se rêvait en tableau (le ratio 1.33 ajoute à la sensation) et construit une cathédrale visuelle qui joue brillamment de son artificialité – certains plans, de manière très visible, embrassent autant une esthétique ‘de studio’ qu’une mutation CGI. Cette gravité picturale n’a rien d’une boursouflure, elle met en scène, elle réifie à l’écran ce que traversent les personnages et ce qui hante tout le récit : la mort et l’espoir de sa conjuration. Tout ici baigne dans la mort et le deuil. On pleure ses amis ou ses proches tombés au combat. On visite les tombes de fils, de mères, de pères. On se rend à des mémoriaux fleuris chaque matin pour entretenir sa peine. On redevient soi grâce aux souvenirs immortels du passé. La mort est le corollaire de pères faillibles qui se sacrifient, de fils en souffrance qui ne peuvent les sauver. Plus qu’un état de fait, elle devient une faute que d’aucuns essaient de surmonter ou d’expier, d’autres de réparer. Dans leur mission de sauveurs du monde et mis face à leurs responsabilités de protecteurs, les héros de Zack Snyder partent en quête de résilience et le film de revêtir, en méta texte, sa dimension la plus bouleversante. En 2017, avant que ses désaccords avec Warner ne le poussent à partir, le cinéaste a perdu sa fille. En concrétisant le film, qu’il lui dédie, il tend un miroir à son propre chagrin. Il pave son chemin de guérison. Au-delà même du cinéma, JUSTICE LEAGUE revêt alors un sens supplémentaire. Comme une logique. Peut-être tient-il de cette catharsis toute son incarnation.

De Zack Snyder. Avec Gal Gadot, Ben Affleck, Ray Fisher, Jason Momoa, Ezra Miller, Henry Cavill. États-Unis. 4h02. En VOD dès le 18 mars

 

 

 

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