JUDAS AND THE BLACK MESSIAH : chronique

26-04-2021 - 17:01 - Par

JUDAS AND THE BLACK MESSIAH : chronique

Shaka King, épaulé par ses producteurs Ryan Coogler et Charles D. King, fait rentrer la fiction noire dans le cercle des meilleurs polars d’infiltration, ressuscitant le cinéma politique américain des années 70.

 

Après Malcolm X et Martin Luther King, une troisième grande figure noire est assassinée dans les années 60 : Fred Hampton (joué par Daniel Kaluuya), jeune héraut des Black Panthers. Juste avant, le FBI avait placé une taupe dans l’organisation : William O’Neal (incarné par Lakeith Stanfield), un type qui n’hésitait pas à usurper l’insigne pour racketter des voyous dans le quartier noir de Chicago. Sans aucun sens de la communauté – alors que les Black Panthers deviennent les icones de sa génération – sans boussole morale, William O’Neal va accepter aveuglément le marché du FBI et de l’agent Roy Mitchell (Jesse Plemons) : gagner la confiance de Fred Hampton et rendre compte au Bureau de toutes les activités de ce groupe « terroriste » qui ne vaut pas mieux que le Ku Klux Klan aux yeux des autorités. Acculturé, individualiste, O’Neal va obéir pour échapper à la prison et se faire une place comme chauffeur de l’activiste… Et même s’il prend conscience du combat pour la justice sociale entrepris par les Black Panthers, son absence de conviction politique va faire de lui l’un des grands traîtres de la cause noire. L’Histoire a un temps retenu que l’assassinat de Fred Hampton résultait d’un raid policier qui a mal tourné. Mais comme les meurtres de Malcolm X et Martin Luther King ont été, par certaines voix, attribués à des complots gouvernementaux, la mort de Hampton est désormais imputée au FBI et son programme COINTELPRO, somme de projets illégaux visant à espionner, infiltrer et démanteler des organisations considérées anti-américaines. C’est en tout cas cette version qui est suggérée par JUDAS AND THE BLACK MESSIAH, histoire d’une forfaiture d’ordre biblique. Révélant à grande échelle cette histoire méconnue – qui a pourtant fait l’objet d’un documentaire (THE MURDER OF FRED HAMPTON) et d’une célébrissime interview de O’Neal, préambule de son suicide –, le film de Shaka King dévoile l’envers de l’Amérique du pouvoir (incarnée par les délires droitistes et autocratiques de J. Edgar Hoover) et place son film aux côtés des HOMMES DU PRÉSIDENT ou de HOFFA sur l’étagère des récits politiques exaltés par le cinéma de genre.

Shaka King se dit très influencé par le cinéma coréen, particulièrement par Park Chan-wook et Bong Joon Ho. Si les parallèles ne sont pas évidents de prime abord, on les devine. Du réalisateur de JSA et de THE LITTLE DRUMMER GIRL, l’Américain doit aimer la filmographie qui critique et tourne en tragédie le poids des idéologies sur la fraternité. Du réalisateur de THE HOST et PARASITE, il a probablement pris cette volonté de faire un cinéma engagé et divertissant, de lutte des classes, éreintant ce système capitaliste qui retourne les opprimés contre les opprimés. « Ces cinéastes se sont vus offrir une grande latitude pour faire les grands commentaires sociopolitiques qu’ils ont voulu sans sacrifier les enjeux, l’ampleur, ni le budget », nous a dit Shaka King au téléphone. Il n’a pas à rougir. Lui aussi a su encapsuler, dans ce thriller enlevé, léché, aux enjeux cruciaux, quelque chose de la colère sociale très contemporaine qui anime la communauté noire américaine. Il exprime la peur d’être divisé, d’être assassiné, d’être saboté dans sa quête de justice et d’être réduit au silence. Il montre du doigt cette suprématie blanche qui tait son nom – à travers le rapport extrêmement pervers de l’agent Mitchell et de son sbire O’Neal. Il illustre cette peur très américaine de l’égalité, fantôme du communisme que l’Amérique met tant d’énergie à combattre, pour préserver l’idéal capitaliste. Le Black Power a toujours associé la lutte des classes à la lutte contre l’oppression des Noirs. Dans JUDAS AND THE BLACK MESSIAH, Shaka King ne se dissocie jamais de son sujet, épaulé par son producteur Charles D. King, déjà au même poste sur le très abrasif (et très de gauche) SORRY TO BOTHER YOU. C’est donc un art militant, un cinéma de qualité. Et donc absolument passionnant.

De Shaka King. Avec Lakeith Stanfield, Daniel Kaluuya, Dominique Fishback, Jesse Plemons, Ashton Sanders, Martin Sheen. États-Unis. 2h06. Sur MyCanal. En achat numérique le 28 avril. En DVD/Blu-ray le 9 juin

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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