ARMY OF THE DEAD : chronique

11-05-2021 - 16:00 - Par

ARMY OF THE DEAD : chronique

Hasard malencontreux : le titre du nouveau film de zombies de Zack Snyder, ARMY OF THE DEAD, renvoie au titre français de son premier long, L’ARMÉE DES MORTS. Signe cosmique qu’une boucle se boucle ?

 

Une bande de misfits, pour certains anciens héros de l’Amérique, décident de braquer le coffre-fort d’un casino du strip de Las Vegas. Sauf que la ville de tous les péchés est désormais coupée du monde et en quarantaine, car aux mains des zombies… Après une trilogie passée à filmer l’Olympe et les Dieux que sont Superman et sa Justice League, Zack Snyder revient sur Terre pour se concentrer sur les Hommes, dans tout ce qu’ils ont de faillible. À l’instar de tous ses films à l’exception de MAN OF STEEL, ARMY OF THE DEAD met donc en scène un groupe, réification à l’image d’une utopie sociale et d’une quête tribale qui traversent tout son cinéma et son existence. Comme dans L’ARMÉE DES MORTS, son premier film – et déjà un zombie movie –, un des visages centraux de ce groupe symbolise le cinéaste lui-même. Une récurrence intéressante car, contrairement à L’ARMÉE DES MORTS, où Snyder transparaissait dans Michael (Jake Weber), ancien vendeur de télé, héros improbable et incertain de pouvoir l’être, le réalisateur s’incarne ici dans une figure absolument opposée : Scott (Dave Bautista). Un pur héros de cinéma, fantasmatique, fort d’une carrure d’Hercule bardée de tatouages et d’impressionnantes capacités pour le combat. Un surhomme comme ceux que Snyder aime mettre en scène, de Léonidas à Superman en passant par Dr Manhattan. Se servant à nouveau d’une durée assez homérique (2h30) pour un tel projet, Snyder va s’attacher à déboulonner la statue et à briser sa carapace. Lui, le cinéaste que d’aucuns estiment si ce n’est arrogant, au moins fanfaron, va littéralement s’incarner à l’écran dans un colosse aux pieds d’argile brouillé avec sa fille (Ella Purnell), incapable qu’il est de la consoler dans ses moments de peine. Impossible de ne pas y voir, évidemment, la manière dont la vie et la carrière du cinéaste se sont elles-mêmes fissurées, de la blessure JUSTICE LEAGUE à la tragédie du suicide de sa fille.

Ce cœur battant, authentique vecteur d’identification, insuffle à ARMY OF THE DEAD tout son intérêt. Pour autant, Zack Snyder n’en oublie jamais ce qui a souvent défini son cinéma : le spectacle. Et il le fait avec un appétit redoutable, totalement débridé, dès les premières minutes. Outre une séquence d’introduction tendue, évocatrice et superbement réalisée (ce jeu sur les ratios 2.39 et 1.78 lors d’un plan subjectif depuis l’intérieur d’un camion !), ARMY OF THE DEAD assoit ensuite son auditoire avec un générique qui, en cinq minutes, contient tout un film de zombies et aligne les set pieces avec indécence. À l’instar de ceux de L’ARMÉE DES MORTS ou de WATCHMEN, le générique d’ARMY OF THE DEAD raconte une myriade de petites histoires, caractérise déjà ses personnages et établit son récit pour mieux le bousculer par la suite. Car l’intention est claire : Zack Snyder évacue en dix minutes ce que l’on imaginait voir dans ARMY OF THE DEAD et, tout comme il s’attache à fissurer son image et celle de son protagoniste, attaque au burin le film de zombies. Qu’il use de post-modernisme (un plan du pré-générique reprend une image célébrissime de E.T. pour laisser penser à l’origine extra-terrestre du mal zombie), d’ironie méta (un personnage assure qu’un tigre zombie, « ça va vraiment trop loin ») ou qu’il dérive vers la farce (un Liberace de pacotille attaqué par des strip-teaseuses), Snyder questionne ce qu’on attend du zombie movie et tente ensuite de le renouveler, souvent avec succès. Au centre du récit trône donc cette idée réjouissante, mais parfois exposée sans clarté, de morts-vivants intelligents et organisés, regroupés dans une néo-société primitive dont émergent les personnages de Zeus et de sa Reine, mus par de véritables sentiments.

Tout dans ARMY OF THE DEAD, même les zombies, converge donc vers cette notion de l’humain, de l’émotion humaine et, en dépit de tout le spectacle déployé – dont deux scènes démentes de fusillade dans les coulisses puis les travées d’un casino –, vers une dimension très intime. Ici directeur de la photographie, cadrant lui-même la plupart du temps, Zack Snyder place la caméra au cœur de l’action, la colle fermement aux acteurs, à leurs corps et à leurs visages, avec une profondeur de champ extrêmement faible. Chaque personnage se retrouve alors seul point de focus du cadre, enserré dans divers jeux de flous, de mise au point et d’aberrations aussi organiques qu’artificiels – un paradoxe qu’on imagine comme la seule possibilité de naturalisme chez Snyder. Et ça fonctionne : aussi archétypaux soient-ils, les personnages s’incarnent, qu’ils soient mythico-tragiques comme Scott, des fusibles comiques comme Dieter (Matthias Schweighöfer) ou des figures plus troubles comme Coyote (Nora Arnezeder) ou Vanderohe (Omari Hardwick). Des personnages interprétés avec soin, figures héroïques déclassées comme métaphores d’une Amérique incapable de concilier rêve de grandeur et réalité. « C’est en descendant au fond de l’abîme que nous retrouvons les trésors de la vie », écrivait Joseph Campbell dans une phrase citée dans ARMY OF THE DEAD. En scrutant l’humain derrière le spectacle, en s’entichant de personnages qui essaient de « faire quelque chose pour eux, pour une fois », des personnages en quête de catharsis, Zack Snyder, après cinq ans passés dans les abîmes, semble parvenir à son propre apaisement. Si bien que lorsqu’il se clôt, ARMY OF THE DEAD apparaît, pour le cinéaste, comme la fin d’une ère et le début d’une autre.

De Zack Snyder. Avec Dave Bautista, Ella Purnell, Nora Arnezeder, Omari Hardwick, Matthias Schweighöfer, Ana de la Reguera, Tig Notaro. États-Unis. 2h26. Sur Netflix le 21 mai

4Etoiles

 

 

 

 

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