NOMADLAND : chronique

09-06-2021 - 09:14 - Par

NOMADLAND : chronique

Tiré d’un livre de « non fiction » suivant « des migrants dans leur propre pays », NOMADLAND raconte la vie sur les routes d’une femme de 60 ans alors que le rêve américain l’a lentement abandonnée. Une épopée sentimentale qui crée du lien, par la réalisatrice qui nous sauvera tous. Le film dont le monde a besoin.

 

Quand l’usine de plaques de plâtre d’Empire, Nevada, a fermé, la ville a littéralement disparu. Son code postal n’existe plus. Fern (Frances McDormand), qui avait décidé d’y rester à la mort de son mari, n’a plus eu d’autre choix que de partir. Elle a mis sa vie dans son van et a pris la route, comme d’autres nomades avant elle. C’est une communauté qui se sépare et se retrouve, au gré de missions saisonnières ou de foires aux camping-cars. Ce sont des déclassés, des insaisissables. Ceux de NOMADLAND sont surtout des Américains de 60 ou 70 ans que la retraite a mis sur la paille, que l’économie a sacrifiés. Ou qui tentent de supporter le poids de l’existence. Dans tous les cas, leur mode de vie est introspectif, minimaliste, ascétique. Ils rejettent la société pas forcément par idéologie mais plutôt par croyance. Engloutis par les grands espaces, ils sont en quête d’une vie transcendée et paisible. Et nous, on rentre dans NOMADLAND comme on entre en religion, avec une foi indéfectible, une sorte de sidération, une illumination.

Précarisée par l’âge, le manque d’argent, l’isolement, mais surtout dévastée par le deuil, Fern déambule, fantomatique. Peut-être attend-elle la mort ? Plutôt une guérison ? Le sait-elle seulement ? Pour l’instant, elle se réinvente en débrouillarde, en bricoleuse, en travailleuse à la chaîne, en préparatrice de fast food. Elle fend les déserts américains, selon les migrations. Les rares relations que Fern noue sont précieuses, fragiles. Ce sont parfois des amitiés, plus souvent des rencontres furtives mais fortes. Des sourires et un poème échangés, un briquet donné, un napperon troqué contre un ouvre-boîte. Cet intime lien, d’autant plus sincère qu’il ne durera pas, ça bouleverse, ça dévaste. Car il n’y a pas de solitude inexorable, nous dit le film, il n’y a que de profondes peines qui isolent mais ne demandent qu’à être partagées de temps en temps avec d’autres plombés, eux aussi, par leur secret et leur douleur. Aussi repliés sommes nous, le contact nous est indispensable – NOMADLAND est la réponse parfaite à son époque. Quand s’offrira à Fern le choix d’un vrai toit, d’un vrai lit, elle interrogera les limites de sa propre réclusion. 

Qu’elle cherche à travailler, crève un pneu ou observe les étoiles, Fern mène le film au rythme de ses petites intrigues personnelles. Son histoire, vous l’aurez compris, est avant tout intérieure. Chloé Zhao filme son visage, ses yeux posés au loin, ses pensées aussi. Elle lui offre le champ, le temps de réfléchir. NOMADLAND contemple. Les traits des vieux nomades, tapés par le souci, tannés par le soleil, fripés par le froid ; les paysages à perte de vue austères et pourtant sereins ; et les couchers de soleil et leur lumière rouge et rasante. La beauté sacrée des décors, des plans qui voudraient les contenir, relève de l’indicible. Il y a chez Zhao un instinct esthétique – c’est inexplicable – pour plonger dans la psyché blessée de ses héros et pour dessiner cette Amérique déclinante. Déjà les crépuscules de THE RIDER reflétaient avec une immense force poétique le malheur de Brady, cowboy sans horizon. Ici, la nuit tombe comme elle interroge Fern sur son futur. NOMADLAND rôde entre le monde des vivants et celui des morts. Quand, face caméra ou se confiant à Fern, les nomades évoquent un syndrome post-traumatique ou le décès d’un fils, Chloé Zhao enregistre ces vrais témoignages avec une bienveillance qui donne à NOMADLAND toute sa douceur, toute sa rude tendresse, toute sa bouleversante vérité. La réalité, l’authenticité s’invitent ainsi dans la fiction, si bien qu’à l’émotion sismique du voyage spirituel de cette femme s’ajoute le choc sentimental des portraits de ces âmes vagabondes. Il suffit que le délicat piano de Ludovico Einaudi retentisse et balaie les vastes plaines de la grande Amérique, pour que les larmes abondent et qu’on ne réponde plus de rien.

De Chloé Zhao. Avec Frances McDormand, David Strathairn, Patricia Grier. États-Unis. 1h47. En salles le 09 juin

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