LAST NIGHT IN SOHO : chronique

26-10-2021 - 14:28 - Par

LAST NIGHT IN SOHO : chronique

LAST NIGHT IN SOHO réussit la quadrature du cercle : différent de tout ce qu’a pu faire Edgar Wright, mais pourtant totalement idiosyncrasique. Un pur concentré de cinéma.

 

La collision du champ et du hors champ dans SHAUN OF THE DEAD. La campagne et la ville dans HOT FUZZ. Affronter les sept ex de Ramona dans SCOTT PILGRIM. Le fantasme du passé contre la réalité du présent dans LE DERNIER PUB AVANT LA FIN DU MONDE. L’acouphène et la musique dans BABY DRIVER. Le succès face à l’intégrité dans THE SPARKS BROTHERS… À des fins humoristiques ou dramaturgiques, Edgar Wright opère d’incessants télescopages d’éléments contraires, si bien qu’au cœur-même de son cinéma résidait jusqu’ici l’humour comme source d’émotions et de sincérité. Avec son septième long, LAST NIGHT IN SOHO, le cinéaste anglais abandonne l’humour, mais pousse la notion de télescopage à son paroxysme : la dualité se retrouve ici partout, et s’affrontent ainsi les lumières des néons et les ténèbres qu’elles cachent, la glamourisation d’un passé et le naturalisme du présent, les fantasmes de célébrité et leur miroir aux alouettes. Un film purement wrightien qui, pourtant, mène son cinéma tout autre part. Fille de la campagne, Eloise (Thomasin McKenzie) touche à son rêve de devenir créatrice de mode lorsqu’elle entre dans une prestigieuse école londonienne. Nostalgique de la culture 60’s, elle découvre le centre de Londres avec fascination. Bientôt, elle voyage chaque nuit dans le passé et revit le destin de Sandie (Anya Taylor-Joy), apprentie chanteuse de la fin des années 60. Mais réveiller le passé, c’est convoquer ses fantômes… En partant de son obsession personnelle pour le passé et d’une impulsion autobiographique – son déménagement de la campagne pour Londres à des fins artistiques –, Edgar Wright décale son regard de l’intimité introspective pour viser quelque chose de plus universel et intemporel. Fort d’une exposition qui prend le temps de présenter Eloise, ses névroses, ses pouvoirs mais aussi son nouvel environnement, Wright opère une lente entrée du spectateur, volontairement confortable, dans le cauchemar qu’il prépare. Ainsi, l’artificialité naît de l’environnement réel – les clignotements d’un néon bleu-blanc-rouge – et, d’une fantasmagorie tout d’abord exaltante de couleurs et de musique pop émerge le film le plus sombre de son auteur. Méticuleusement, Wright épluche chaque couche du Swinging London pour en révéler les recoins les plus sordides, ses histoires oubliées, ses blessures à vif et ses idoles déchues – la présence au générique de Diana Rigg dans son dernier rôle, de la star du kitchen sink drama Rita Tushingham et du pape du cool 60’s Terence Stamp sert évidemment l’expérience. Alors que le cinéaste filme McKenzie et Taylor-Joy face-à-face dans des mêmes plans, en de virtuoses chorégraphies et de faux effets de miroir, LAST NIGHT IN SOHO se fait peu à peu lui aussi reflet, celui de questionnements anciens mais toujours d’actualité sur l’exploitation des femmes. Capturant la concupiscence en évitant toute objectification dans ce qui s’impose pourtant comme son film le plus sexué, Wright, aidé par la photographie charnelle de Chung Chung-hoon, teinte tout de rouge sang. Il séduit pour ensuite mieux répugner ou effrayer, chaque image plongeant toujours un peu plus dans le baroque de couleurs saturées et dans les regards de ses héroïnes – la majorité des plans est filmée à hauteur d’yeux. D’une multitude d’images évocatrices et de ses saillies très assumées dans le giallo, LAST NIGHT IN SOHO tire une nature sensorielle – des séquences superposent chanson, score et effets sonores, en d’incroyables attaques des sens. Mais il trouve son écho le plus durable et puissant dans ce qu’il convoque du film de fantômes. Perpétuel antagoniste des personnages d’Edgar Wright depuis SPACED, le passé contamine tout LAST NIGHT IN SOHO, dont chaque plan semble hanté, notamment grâce à un remarquable travail de rémanence du son. Aucun film d’Edgar Wright, pas même LE DERNIER PUB AVANT LA FIN DU MONDE, n’était allé aussi loin, et avec autant de maîtrise, sur le terrain de la tristesse opératique, en quête d’une résilience que la profondeur des cicatrices rend impossible. Un immanquable jalon de sa filmographie.

D’Edgar Wright. Avec Thomasin McKenzie, Anya Taylor-Joy, Diana Rigg, Matt Smith, Terence Stamp, Michael Ajao. Royaume Uni. 1h56. En salles le 27 octobre

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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