ONE NIGHT IN MIAMI : chronique

14-01-2021 - 16:43 - Par

ONE NIGHT IN MIAMI : chronique

Regina King passe derrière la caméra pour réaliser son premier long-métrage, l’adaptation d’une pièce de Kemp Powers qui revient, en fiction, sur une nuit de février 1964. Très impressionnant.

 

Le 25 février 1964, Cassius Clay, 22 ans, bat Sonny Liston sur un ring de Miami et devient champion du monde poids lourds. Pour fêter ça, il passe la soirée avec ses copains Malcolm X, le chanteur Sam Cooke et la star du football Jim Brown. Kemp Powers en écrit une pièce, qui imagine ce que ces quatre figures afro-américaines ont pu partager cette nuit-là. Ils étaient tous à un tournant de leur vie : Cassius Clay, qu’on appellerait bientôt Muhammad Ali, annoncerait le lendemain rejoindre la Nation of Islam ; Malcolm X, lui, allait justement la quitter, et des menaces pèsent sur sa vie ; Sam Cooke, crooner grand public, s’apprêtait à dévoiler sa première chanson éminemment politique ; Jim Brown était en pleine reconversion au cinéma après une carrière fulgurante sur le terrain. Dans une sobre chambre de motel, galvanisés par la victoire du boxeur, ces quatre hommes vont débattre de manière houleuse de la contribution de chacun au combat des Noirs dans un pays sous lois Jim Crow et de la nécessité, lorsqu’on est une personne publique, de mettre sa notoriété au service de la cause. Malcolm X – que l’interprétation délicate de Kingsley Ben-Adir montre sous un angle intime et vulnérable – exhorte ses frères à s’engager sans équivoque. Mais n’y a-t-il qu’une seule manière de se battre ? Non, il y en a de multiples, comme il y a de multiples expériences noires en Amérique. La cause est raciale bien sûr, mais la riposte peut être économique, culturelle, médiatique ou artistique. Par l’écriture redoutable de Kemp Powers, chacun de ces individus possède son rapport propre au groupe. Chaque portrait réussit à être fidèle à la vérité et pourtant archétypal, comme si cette nuit de février 1964 et ce qui s’y était joué étaient aussi personnel que légendaire, réel que fictionnel. Époustouflant comment derrière le postulat anecdotique de cette rencontre, se joue peut-être un bout de l’Histoire des États-Unis.

Une prière partagée par Cassius Clay et Malcolm X, une visite de Jim Brown à un vieux notable de Géorgie, une débâcle de Sam Cooke devant un parterre de riches Anglais, le combat sur le ring… La pièce se déroulait exclusivement dans la chambre de motel. Le film ouvre ici son récit à tout un préambule au postulat simple : illustrer le racisme et l’assujettissement des artistes ou des sportifs noirs à l’argent et l’influence des Blancs. Par la suite, comme dans un prêche intime et désespéré, Malcolm X ne cessera de vouloir convaincre ses amis que cette inféodation doit cesser. Chez chacun d’entre eux, les convictions, les désirs et les devoirs se livrent une bataille sans merci, rendant le succès toujours un peu amer. Grand film sur la pression d’être engagé quand on est noir, ONE NIGHT IN MIAMI est éminemment contemporain – et presque postmoderne – puisque seul le cinéma afro-américain historique et politique ne semble pouvoir atteindre un vaste marché. Regina King, qui s’est illustrée en tant qu’actrice dans des séries et des longs-métrages sur le combat racial – de BEALE STREET à WATCHMEN – livre un concentré dramaturgique qui aurait pu être scolaire, théorique et lourd : il est au contraire romanesque, feuilletant les pages de l’histoire des droits civiques. Du jeu irréprochable des comédiens (le quatuor Kingsley Ben-Adir, Aldis Hodge, Eli Goree et Leslie Odom Jr. est étourdissant) au rythme des réparties comme des droites assénées entre frères, Regina King fait du cinéma politique, tourmenté mais puissant, comme un film pour les gouverner tous.

De Regina King. Avec Kingsley Ben-Adir, Eli Goree, Aldis Hodge, Leslie Odom Jr., Lance Reddick, Michael Imperioli. États-Unis. 1h50. Le 15 janvier Sur Amazon Prime Vidéo

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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