BARDO : chronique

16-12-2022 - 15:17 - Par

BARDO : chronique

Un documentariste mexicain tombe dans un état d’introspection surréaliste. Iñárritu explore ses peines et ses émotions pour son film le plus libre et passionnant.

 

Jusqu’à présent le cinéma d’Alejandro González Iñárritu reposait sur une narration constituée de mécanismes visibles, comme les récits parallèles, et d’intrigues écrasantes qui, même en ligne claire comme dans THE REVENANT, semblaient emprisonner ses films dans une virtuosité rigide. Cet élément de son ADN vole en éclat dans BARDO, errance libre et assumée où le récit se construit par agrégation impressionniste – d’images, de sons, de dialogues, de propos – et par oscillation entre le surréalisme et le naturalisme, la réalité et la fiction, le sensoriel et le factuel. Une proposition qui avait tout pour ne pas fonctionner et qui, pourtant, triomphe de tous les obstacles. Peut-être parce qu’avec BARDO, Alejandro González Iñárritu creuse au plus profond de lui-même. Qu’il mette en scène des tragédies personnelles (la perte d’un enfant), des traumas historiques (le massacre des Aztèques par Cortés ; la conquête du Mexique par les États-Unis), des douleurs indicibles (la psyché de l’immigré) ou des doutes artistiques (le dégoût du succès, le désir de plaire), le cinéaste mexicain met ses tripes sur l’écran et use de tous les outils dont il dispose. Centrifugeuse à histoires, BARDO impose son désir de ne jamais se poser ou se centrer, de naviguer entre une succession d’états intermédiaires, parce que l’errance apparaît fluide, totalement logique dans son absurdité. Un plan-séquence dépouillé dans les couloirs d’un appartement précède une épopée fellinienne dans les coulisses d’une émission de variété, des ombres sautent dans le désert en vue subjective, on danse sur du David Bowie a cappella et un fils discute avec son père mort dans les toilettes d’un club. Étrangement, BARDO s’impose comme un pur film d’Iñárritu, mais sans les scories dont pouvaient souffrir ses précédents. Car ici, au lieu de virtuosité sentencieuse, l’excès (surréaliste) enflamme et engage l’imagination du spectateur. Il constitue aussi un outil nécessaire du propos, qu’il soit politique ou intime. Même l’utilisation du grand angle déformant, qui mettait à distance dans THE REVENANT, trouve ici du sens, le directeur de la photographie Darius Khondji sculptant l’image pour distordre ou retendre la réalité. Dans la quête existentielle de Silverio, documentariste mexicain qui retourne au pays recevoir un prix, Iñárritu trouve un catalyseur pour exorciser ses peines et angoisses les plus personnelles. Et là s’accomplit le miracle de BARDO : d’un trip radicalement intime, le réalisateur parvient à bâtir une chronique dans laquelle chacun peut injecter de soi. Ou quand d’un objet insensé surgit une vérité humaine, inexplicable mais palpable.

D’Alejandro González Iñárritu. Avec Daniel Giménez Cacho, Griselda Siciliani. Mexique. 2h40. Sur Netflix le 16 décembre

 

Note : 4 /5

 

 


 

 

 

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