LOST IN THE NIGHT : chronique

03-10-2023 - 17:37 - Par

LOST IN THE NIGHT : chronique

Sur fond de corruption policière et de lutte des classes, l’enquête d’un fils pour retrouver sa mère disparue depuis trois ans.

 

La mère d’Emiliano était une activiste en croisade pour faire fermer la mine locale qui rend ses travailleurs malades. « Était » parce que, un soir, après une réunion, elle a été arrêtée par la police avec ses camarades et on ne l’a plus jamais revue. Trois ans plus tard, la mine est toujours en activité et Emiliano essaie toujours de retrouver sa mère, ou du moins, il n’est pas dupe, son corps. On l’oriente enfin vers une villa d’architecte, au bord du lac, et la famille plutôt spéciale qui l’habite : un artiste contemporain, ennemi des Aluxes (une secte religieuse), sa femme actrice et sa belle-fille, une influenceuse. Emiliano se fait embaucher pour des menus travaux et infiltre ces gens aux codes insaisissables. Au Mexique, pays clivé par des différences de classes radicales, c’est autant l’argent qui divise que les valeurs et le rapport au pouvoir. Ainsi Emiliano découvre un monde sans pudeur, versatile, sans-gêne, à l’opposé de la dignité et de la résignation des classes plus pauvres. Il y a donc des saillies comiques furtives, et un regard narquois et sidéré sur les mauvaises manières des uns, sur le stoïcisme des autres. Depuis SANGRE, en 2005, Amat Escalante règne en maître sur la chronique criminelle mexicaine, créant des codes et les subvertissant tout à la fois. Il aurait été facile d’opposer au héros Emiliano un plasticien fat et dominateur et une Instagrameuse déconnectée et superficielle, inféodée à la culture américaine. Sauf que dans LOST IN THE NIGHT, il statue que le mal n’est pas une question d’argent ou de personnalité, mais d’abandon à la corruption ambiante. Face à la violence du pays, chaque personnage tient aussi longtemps qu’il le peut sa ligne de valeurs. Les vraies figures maléfiques sont repoussées en périphérie du récit, dans des seconds rôles qui rôdent, qui accompagnent, qui parlent à peine mais qui font peser sur le film, de manière presque invisible, le poids de l’oppression et de la coercition. Les victimes collatérales pleuvent, devenant les vraies héroïnes de l’histoire. Avec HELI, Amat Escalante remportait le Prix de la mise en scène à Cannes. Dix ans plus tard, sa maîtrise de l’espace et de la distance est toujours sidérante, les rapports de pouvoir entre personnages gagnant en force et en portée. On retrouve aussi ici la tension typique de LOS BASTARDOS, poussée à exploser en toute fin de métrage ; Amat Escalante creuse toujours les mêmes sillons tout en parvenant à se réinventer. D’aucuns diront que le film traîne à se finir et c’est peut-être son seul défaut : vouloir conclure explicitement, quitte à prendre son temps, alors que le reste du récit joue au contraire sur les non-dits et les allusions. C’est sûrement ainsi que le réalisateur renouvelle sans cesse notre intérêt, dans un premier temps pour sa filmographie – dans le cadre de la chronique mexicaine narco-criminelle, ses longs-métrages ne se ressemblent pas –, mais aussi au sein même de ses films avec une écriture imprévisible, mais redoutable.

D’Amat Escalante. Avec Juan Daniel García Treviño, Ester Expósito. Mexique. 2h. En salles le 4 octobre

Note : 4

 

 

 

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