Focus sur la Penelope-Delta, caméra digitale d’Aaton visant un rendu pellicule

10-01-2013 - 10:35 - Par

Conscient que la lutte entre pellicule et numérique était bel et bien perdue, Aaton, via son créateur Jean-Pierre Beauviala a créé la Penelope-Delta, qui cherche à redonner à l’image digitale le grain, la profondeur et la densité de l’image film.

Depuis quelques années se joue une bataille cruciale au sein de l’industrie cinématographique : celle entre pellicule et digital. Une guerre que le film a perdu depuis belle lurette, sacrifié sur l’autel de la rentabilité, la pellicule étant bien plus onéreuse et moins malléable que le numérique. Ainsi, lorsque nous avions interrogé l’un des responsables d’IMAX, Larry O’Reilly, celui-ci nous expliquait la raison simple pour laquelle sa société passait progressivement au tout numérique : « Sur un film comme AVATAR, le coût de la bobine s’élève à 100 000 dollars par salle, quand celui d’un fichier digital (les fameux DCP, ndlr) est de… 250 dollars. » Des coûts certes accrus par le format 70mm d’IMAX, mais qui donne un petit aperçu du fossé de rentabilité qui sépare pellicule et digital. Tant dans les domaines de production pure (il est moins coûteux de multiplier des prises en numérique qu’en film) que de distribution (stockage des bobines, coût d’une copie pour les studios etc). Raison supplémentaire du passage au numérique : les DCP, fichiers cryptés utilisés par les salles de cinéma digitales, limiteraient le piratage…

Le digital semble ainsi l’avoir emporté pour des raisons financières : les grands fabricants (ARRI, Aaton, Panavision) ont ainsi cessé la production de caméras pellicule en 2011, pour se concentrer sur le marché de la digitale, déjà bien dominé par RED et ses fameuses RED Epic. À l’époque, l’un des responsables d’ARRI, Bill Russell, disait que « la demande pour les caméras pellicule a disparu et même si sur certains marchés, cette demande existe, elle est bien moindre qu’auparavant ». Le créateur d’Aaton, Jean-Pierre Beauviala, lui, disait que « presque plus personne n’achète de nouvelles caméras pellicule. (…) Nous ne pourrions survivre dans cette industrie si nous ne fabriquions pas de caméras digitales. » Pourtant, en dépit de ce simple état de fait, la bataille fait rage chez les artistes, comme le démontre le documentaire SIDE BY SIDE, produit par Keanu Reeves, qui donne la parole à des cinéastes de par le monde sur le sujet. D’un côté, les artistes fermement convaincus par le numérique et l’utilisant depuis plusieurs années, comme David Fincher, Steven Soderbergh, James Cameron ou Peter Jackson pour citer les plus emblématiques. De l’autre, ceux qui rechignent à faire la transition, fervents défenseurs du procédé photochimique, comme Steven Spielberg, J.J. Abrams ou Chris Nolan.

Wally Pfister

Lorsque nous l’avions interviewé en janvier 2011 à la sortie de CHEVAL DE GUERRE, Steven Spielberg nous déclarait ainsi : « Je peux vous promettre que tant que l’on pourra  développer de la pellicule, je tournerai en pellicule. » Auparavant, lors de la conférence de presse de présentation du film à New York, il assurait ne pas « planifier [son] passage au numérique » mais déplorait qu’il soit obligé de le faire un jour, en raison de la situation précaire des laboratoires… L’été dernier, Wally Pfister, l’un des plus grands chef op’ au monde (qui passera prochainement à la réalisation avec TRANSCENDENCE) et collaborateur privilégié de Chris Nolan, nous expliquait pourquoi son réalisateur et lui défendaient la pellicule et refusaient de passer au digital, tournant même en IMAX 70mm : « C’est une énorme mission que Chris et moi prenons à cœur. Nous avons parfois l’impression de nous battre contre des moulins car la révolution numérique emporte tout sur son passage. On ne comprend pas trop pourquoi les gens acceptent sans broncher une qualité d’image inférieure à celle de la pellicule. Avec l’IMAX, cette différence de définition est encore plus visible. (…) Avec les caméras digitales, l’image est plus lisse, moins affûtée, moins contrastée. Selon moi, si l’on fait trop de compromis avec le rendu de l’image, on ne peut pas obtenir les mêmes émotions. » Et Pfister de militer pour « avoir le choix » entre pellicule et numérique et ne pas être forcé de tourner en digital.

Selon lui, le numérique ne permettrait pas d’obtenir les mêmes émotions que la pellicule, en raison d’une définition moindre. Un avis que nombreux partagent, mettant en cause la froideur et la netteté clinique du numérique (qui convient toutefois parfaitement au cinéma de David Fincher, qui sait l’utiliser). Un avis que semble partager… le créateur d’Aaton, Jean-Pierre Beauviala. En effet, l’ancien conseiller d’Eclair Caméras, créateur de matériel de cinéma et fondateur d’Aaton, a récemment donné une interview à notre confrère de Télérama, Aurélien Ferenczi, afin de présenter son nouveau bébé : la Penelope-Delta. Une caméra digitale qui a pour simple but de retrouver le grain et le rendu pellicule. Un moyen comme un autre de ne pas abdiquer devant la désormais toute puissance du digital. Avec le numérique, « on est encore loin de la qualité de la pellicule, assure Beauviala. On perd l’émotion véhiculée par l’image argentique. Heureusement que, déjà, certaines salles s’équipent en 4K : la profondeur des valeurs, la subtilité des couleurs seront bientôt de retour ». Mais Beauviala, via Aaton, ne compte pas se reposer uniquement sur la définition en dix millions de pixels du 4K.

Car selon lui, le numérique amoindrit clairement l’art cinéma : « Hier, j’ai vu un film (…) et sans doute me serais-je moins ennuyé si les personnages n’avaient pas tous des visages de cire, si les ombres n’étaient pas ‘bouchées’, si les à-plats n’avaient pas bavé, et si les couleurs étaient aussi traitées en haute lumière ». Un discours technique, certes, mais qui rejoint l’avis de Wally Pfister sur « la qualité d’image inférieure » offerte par le numérique en regard de celle fournie par l’argentique. Alors la Penelope-Delta a été conçue pour surmonter tous ces défauts. Comment ? En l’équipant d’un capteur fabriqué par une entreprise canadienne travaillant pour la NASA sur la sonde Curiosity. Rien que ça. « Les géologues de la NASA ont besoin d’une colorimétrie parfaite pour analyser les roches martiennes », explique Beauviala. Outre cet effort sur la couleur, la Penelope-Delta dispose d’un « viseur reflex optique qui assure une intimité incomparable avec les personnes filmées ».

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Mais si l’on prend le temps de parler longuement de la nouvelle caméra d’Aaton, c’est parce qu’elle pourrait bien révolutionner le digital grâce à un procédé inédit. Laissons Beauviala l’expliquer : « Nous savions que sur pellicule, à chaque image vierge, les grains sensibles à la lumière ne sont ni disposés au même endroit, ni de la même dimension. Cette dimension aléatoire donne sans doute vie à l’image-film. Pour lui trouver un équivalent, nous avons mis le capteur sur un cadre de titane souple, et il se déplace aléatoirement d’un demi-pixel à chaque image. Par la suite, un programme informatique permet de corriger le décalage. » Tenter de reproduire artificiellement le caractère quasi divin car accidentel du rendu argentique, voici donc le défi lancé par Aaton. Gageons que la Penelope-Delta saura donc trouver des défenseurs parmi les cinéastes amoureux de la pellicule. Et que ce premier essai devrait être encore amélioré et développé dans les années à venir. En tant que cinéphiles plutôt réfractaires au tout numérique et au rendu digital, nous ne pouvons donc qu’applaudir la démarche de Beauviala et d’Aaton, et qu’attendre avec impatience de constater le résultat sur grand écran dans les années à venir. L’image-film n’est pas morte, en somme.

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