JUSTICE LEAGUE : chronique

15-11-2017 - 09:00 - Par

JUSTICE LEAGUE : chronique

À trop vouloir gommer la vision sombre et opératique initiée par Zack Snyder pour le DCU, JUSTICE LEAGUE finit par tout araser et perd en personnalité. Pire : deux films souvent imperméables l’un à l’autre sont en conflit en son sein.

Un slogan trône sur toutes les affiches de JUSTICE LEAGUE : « You can’t save the world alone » – « Vous ne sauverez pas le monde seul », en français. Il est d’autant plus difficile de le sauver, le monde, s’il n’apparaît pas à l’écran. Là réside sans doute l’un des problèmes majeurs du film-réunion de DC : son manque d’incarnation. Si l’on pouvait reprocher au dernier acte de MAN OF STEEL d’oublier les victimes du duel entre Superman et Zod, aux climax de BATMAN V SUPERMAN et WONDER WOMAN de frayer sur des territoires d’abstraction numérique, JUSTICE LEAGUE va malheureusement plus loin et, contrairement à ses aînés, se montre incapable de donner chair à ses enjeux et d’exister dans un monde visible et palpable. En l’état, Batman, Wonder Woman, Aquaman, le Flash et Cyborg ont l’air d’évoluer dans un univers contenu, sans habitants, où la menace posée par le grand méchant Steppenwolf n’a aucune prise sur des humains globalement absents à l’image – à l’exception d’une famille russe isolée, amenée dans le récit de manière très maladroite et fonctionnelle.

Pourtant, le premier quart d’heure se révèle extrêmement engageant avec une séquence d’ouverture à l’esthétique superbe suivant Batman sur les toits de Gotham, une scène d’action bien cadencée avec Wonder Woman et un générique d’introduction hanté, poignant, renvoyant directement à celui de WATCHMEN. Là, JUSTICE LEAGUE fait une promesse enthousiasmante, celle d’user des héros DC pour parler de notre monde contemporain, de sa noirceur inextricable, de sa lente déréliction, de nos peurs et de la violence qui le gangrènent, de la misère qui s’insinue partout, de la perte de l’espoir et de la nécessité de le faire vivre tout de même, quoi qu’il advienne. Cette promesse humaine et politique, réclamant opératisme narratif, ampleur visuelle, sentiments et équilibre entre lumière et obscurité, JUSTICE LEAGUE ne la tient malheureusement jamais. Après ces prémices, le film ne cesse de sombrer lentement. Passé la première bataille commune de la League contre Steppenwolf, dans laquelle le style cinétique de Zack Snyder fait merveille, JUSTICE LEAGUE déraille même totalement.

JUSTICE LEAGUE passe le plus clair de son temps à tenter de gommer la vision initiée par Zack Snyder pour le DC-verse. L’humour, injecté dès les premières prises de vues pour redonner à l’univers DC une certaine légèreté optimiste, peine à convaincre. En premier lieu parce que cette tonalité comique, pas encore post-moderne mais déjà complice, semble bien éloignée du ton sérieux, parfois solennel, qu’affectionne Snyder. Le réalisateur peine à maîtriser ce changement et à l’insérer de manière organique dans le récit. Surtout, le DC-verse s’est bâti sur des arcs dramatiques forts mettant en lumière les combats intérieurs et extérieurs des personnages – quitte à choquer, comme avec le geste meurtrier de Superman sur Zod dans MAN OF STEEL. Une ambition de progression dramaturgique sur plusieurs films ici totalement précipitée – puisque WONDER WOMAN était un ‘prequel’, on passe chronologiquement de la noirceur pesante de BATMAN V SUPERMAN à, sans grande transition, une profusion de blagues dont beaucoup laissent de marbre et qui désacralisent les personnages. Heureusement, ils ne sont pas unidimensionnels pour autant : The Flash et le très beau (mais sous-exploité) Cyborg véhiculent un propos intéressant, bien qu’effleuré, sur les relais entre générations et la transmission, des erreurs notamment. Mais leurs émotions, leurs dilemmes, leur compas moral se voient constamment balayés par la nécessité de légèreté, par l’art de la punchline à tout prix. La tonalité globale joue contre eux, qui apparaissent vidés de toute substance – ils semblent contrôlés par l’intrigue –, mais aussi contre le film lui-même qui, dénué de toute profondeur, va trop vite, se montre incapable de transmettre avec un minimum de sérieux, de gravité, de chair ou d’émotion son propos sur l’espoir et le besoin de héros.

Une inconsistance loin de ce à quoi le DCU, souvent très opératique, nous avait habitués. Peut-être aussi parce que, visuellement, JUSTICE LEAGUE ne tient pas la comparaison avec les précédents opus signés Snyder. Quand certaines scènes affichent, comme dans MAN OF STEEL et BATMAN V SUPERMAN, profondeur et ampleur visuelles, mettent en scène leurs personnages dans des compositions soignées, utilisent les CGI pour créer des peintures animées, iconisent le moindre geste, d’autres se contentent du minimum syndical et font montre d’une pauvreté visuelle surprenante, alignant cadrages basiques, découpages molassons en champs/contre-champs et discussions statiques entre personnages inertes dans des décors vides. Deux réalisateurs aux styles et ambitions esthétiques radicalement opposés sont aux commandes du même film : Zack Snyder et son suppléant Joss Whedon, qui a assuré d’extensives prises de vues supplémentaires. De l’impossibilité, finalement rassurante, de fusionner leurs intentions naît un film inoffensif, incapable de revendiquer la moindre personnalité.

De Zack Snyder. Avec Ben Affleck, Gal Gadot, Henry Cavill, Ray Fisher, Ezra Miller. États-Unis. 2h01. Sortie le 15 novembre

2Etoiles

 

 

 

 

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