THE FAVOURITE : chronique

30-08-2018 - 22:15 - Par

THE FAVORITE : chronique

Vous ne pensiez quand même pas que Yorgos Lanthimos allait faire un film en costumes comme tout le monde ? Sale, cruel, drôle, tragique et génialement queer, THE FAVOURITE transforme le classicisme en art contemporain.

 

D’ordinaire, les films de Yorgos Lanthimos ont pour point de départ l’imaginaire cinglé de son auteur. Quiconque a déjà vu CANINE ou THE LOBSTER sait la capacité du réalisateur à investir des scénarios improbables et torturés. THE FAVOURITE change en apparence la donne. Pour la première fois, Lanthimos se frotte au concret avec des personnages ayant réellement existé, dans une époque précise avec ses us et coutumes documentés par l’histoire. Soit l’Angleterre du début du XVIIIesiècle, la cour bariolée de la Reine Anne et les manigances de deux femmes pour être désignées favorite de la monarque. Mais de la guerre sourde que se sont menées Sarah Churchill, duchesse de Marlborough (Rachel Weisz), et Abigail Masham (Emma Stone) pour l’amour et le pouvoir d’Anne (Olivia Colman), de cette matière purement historique, Lanthimos tire une œuvre qui n’a rien d’un film d’époque.

Pourtant tout est là : le faste des décors, les costumes, la langue… Mais Lanthimos est joueur et son film cherche en permanence à déstabiliser le spectateur en l’interrogeant sur le classicisme supposé de ce qu’il voit. Ce n’est pas tant que Lanthimos s’amuse à faire des clins d’œil au présent ou à jouer la carte du film pop, façon Baz Luhrmann. Non, comme pour ses précédents films, il pense THE FAVOURITE comme un récit primitif, un récit fondateur qui transcende la question des époques. Ainsi, le triangle amoureux cruel qui se joue à l’écran mélange aussi bien les piques revanchardes élégantes que les coups de boule intempestifs. Les jeux de pouvoir y sont en fait autant des jeux de séduction que des pratiques sado-maso où l’élégance n’est qu’un cache-misère de la pourriture qui rôde. Somptueux, dans des lumières et des clairs obscurs ‘barry-lyndoniens’, le film attrape en permanence la rétine en mélangeant dans un même mouvement le classicisme et l’hyper modernité (les plans en fish eye, les travellings circulaires, les très longs fondus enchaînés feront grincer les dents des puristes), le bon et le mauvais goût (du so chic au so shoking !). C’est à la fois sublime et dérangeant, et pour peu qu’on goûte à l’art d’être bousculé et interrogé par une proposition artistique, THE FAVOURITE fait office de festin.

Mais surtout, Lanthimos continue d’imposer de film en film son ton radical en filmant comme toujours le tragique à la limite du comique et la comédie à la limite de l’horreur. Ce qu’il offre à ses trois actrices est un laboratoire de luxe, un terrain de jeu accidenté complètement jouissif de part et d’autre de l’écran. Quelque part entre un remake en costumes des ‘cat fights’ de DYNASTIE, un splendide mélo lesbien mortifère et une œuvre joyeusement queer et camp, l’investissement fou de Stone, Weisz et Colman oblige le film à être à leur hauteur. La prestation physique d’Olivia Colman, ahurissante en reine folle de rage et d’amour, devrait lui valoir une rasade bien méritée de prix. On vous laisse découvrir le personnage dingue de Rachel Weisz qui devrait, à n’en pas douter, devenir avec ce rôle et ce look une nouvelle icône LGBTQ. Plus en retrait en apparence, Emma Stone prend, à mesure que la cruauté de son personnage se révèle, une ampleur passionnante. La gourmandise de sa brutalité et de sa duplicité offre au film ses scènes les plus marquantes.

Contraint à tenir le récit debout, Lanthimos réussit donc la prouesse d’infuser les méandres tortueux de son cinéma pessimiste dans la grande Histoire. Le puissant dernier plan du film, symbole d’un système et d’un monde où tout n’est que dominant et dominé, clôt une œuvre-somme, mal aimable certes, mais profondément généreuse en cinéma. Quand la narration se dissout et qu’il ne reste que la sensation tenace et indélébile des images, ça s’appelle une œuvre d’art.

De Yorgos Lanthimos. Avec Olivia Colman, Rachel Weisz, Emma Stone. États-Unis. 2h. Sortie le 16 janvier 2019

4Etoiles

 

 

 

 

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