Interview exclusive : Roger Jon Ellory

02-02-2010 - 11:04 - Par

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Il est de ces auteurs dont la lecture des œuvres est redoutablement chronophage et addictive. L’Anglais Roger Jon Ellory nous a accordé une interview exclusive pour parler de son travail, de la prochaine adaptation de son roman « Seul le Silence » par Olivier Dahan, et du cinéma qu’il aime.

RJElloryIntroC’est à la fin de l’été 2009 que nous avons découvert Roger Jon Ellory, lors de la sortie de « Vendetta », son troisième roman et seulement second à être traduit en français. Dans ce polar historique, R.J. Ellory explore le destin d’un tueur à gages de la Mafia, nous plongeant dans 50 ans d’histoire américaine, à un rythme aussi languide que prenant. Un roman qu’il nous a été littéralement impossible de lâcher avant d’en atteindre les dernières pages. Aller-retour illico chez le libraire, et nous découvrions alors « Seul le Silence », cinquième livre d’Ellory, mais premier à avoir été publié en France. Là encore, Ellory impressionne par la densité de son style. Avec une attention particulière pour ses personnages, et une patience de joaillier pour construire son récit, Ellory nous conte la vie de Joseph Vaughan, qui, à l’âge de douze ans, découvre le corps atrocement mutilé d’une fillette. Sa paisible région, la Géorgie, sombre alors dans la paranoïa et la peur, avant que l’enquête ne soit résolue. Mais devenu adulte, Joseph, toujours traumatisé par cette expérience, voit sa vie basculer dans la tragédie. Les meurtres reprennent, et dévoré par ses démons, Joseph décide de mener l’enquête… « Un livre magnifique qui vous hantera longtemps » : voilà comment le romancier star Michael Connelly a décrit « Seul le Silence ». Il faut dire qu’avec son ambiance crépusculaire, ses personnages étudiés avec soin et subtilité, les émotions déchirantes qu’engendrent le récit, les dilemmes moraux explorés sans complaisance, « Seul le Silence » s’avère être un des plus beaux romans que nous ayons lu ces dernières années. Un livre qu’Olivier Dahan ambitionne d’adapter au cinéma, avec le concours de l’écrivain au scénario. En contact avec R.J. Ellory par la magie du Net depuis plusieurs mois, nous lui avons finalement demandé une interview, qu’il nous a accordée avec enthousiasme depuis sa ville natale de Birmingham.

OlivierDahanIl a été dit que vous travaillez au scénario de l’adaptation de votre roman « Seul le Silence », pour un film que réaliserait Olivier Dahan. Pouvez-vous nous dire comment Dahan est entré en contact avec vous et où en est le projet ?

Olivier a lu le roman en français et m’a envoyé un e-mail, me demandant si je voulais venir à Paris pour le rencontrer et discuter d’une éventuelle collaboration pour écrire le scénario. Je me suis donc rendu à Paris fin février 2009 et nous avons passé deux ou trois jours ensemble. Nous avons énormément parlé de comment « Seul le Silence » devait être scripté et j’ai été très intéressé par ses idées. A la fin de mon séjour, Olivier m’a dit qu’il souhaitait que j’écrive le scénario seul, et que je devais l’écrire comme un romancier. Pas comme un scénariste. Nous sommes tombés d’accord sur le fait que ce qui devait être reproduit dans le scénario était la force émotionnelle de l’histoire, et que la principale chose à accomplir était qu’un spectateur voyant le film devait ressentir le même engagement émotionnel qu’un lecteur du roman. Je suis alors rentré chez moi, j’ai commencé à travailler immédiatement, et mi-mars, j’avais fini la première version, qui est aujourd’hui entre les mains d’Olivier. Mais comme c’est toujours le cas pour un film, je sais que je dois être patient, car tout dépend de savoir si le financement sera possible. J’espère que ce sera le cas, et je suis très heureux de pouvoir travailler avec Olivier Dahan.

J’imagine que SEUL LE SILENCE serait tourné aux Etats-Unis, avec des acteurs américains. Si vous deviez choisir, quels acteurs seraient vos favoris pour les rôles principaux ?

Pour le personnage principal, Joseph Vaughan, nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’il devait être incarné par deux acteurs. Un de ses douze ans à ses dix-huit ans, puis un autre de ses vingt ans à sa trentaine. Personnellement, j’aime énormément Robert Downey Jr, mais il est sans doute un peu trop vieux aujourd’hui pour le rôle. J’aime aussi Ed Norton, mais il y a énormément de jeunes acteurs aujourd’hui. Des gens comme Ryan Reynolds ou Billy Crudup, un superbe comédien selon moi. Pour le personnage de Reilly Hawkins, j’ai toujours eu en tête Philip Seymour Hoffman, pour Dearing je pensais à Chris Cooper, et bien avant que l’idée d’un film me soit proposée, je pensais à Julianne Moore pour camper la mère de Joseph.  Elle est selon moi l’une des plus subtiles actrices au monde.

Casting

Sans révéler des détails dont vous ne pouvez pas parler, pouvez-vous nous en dire plus sur le genre d’atmosphère que souhaite obtenir Olivier Dahan ?

Pour moi, la chose la plus importante est l’émotion. Les sujets que j’aborde sont pour moi une bonne opportunité de dépeindre des personnes réelles, et comment elles réagissent à des situations qui le sont tout autant. Il n’y a rien de plus intéressant pour moi que les gens, et l’aspect le plus passionnant des Hommes est leur capacité à surmonter les difficultés et y survivre. Je pense écrire des drames humains, et j’y trouve de quoi observer le spectre entier des émotions humaines. C’est ce qui capture toute mon attention. J’ai lu un jour que la « non fiction » servait à transmettre une information, alors que la fiction a pour but premier d’évoquer une émotion. J’aime les écrivains qui me font ressentir quelque chose, c’est ce que je recherche dans la lecture. Il existe des millions de livres, tous très bien écrits, mais ils sont souvent trop mécaniques dans leur récit ou leur style. Trois semaines après les avoir lus, vous ne vous souvenez de rien. Les livres qui me marquent vraiment sont ceux dont je me souviens des mois après la lecture. Je ne me souviens peut-être pas les noms des personnages, ou les détails de l’intrigue, mais très bien de ce que j’ai ressenti. C’est tout ce qui compte pour moi. La connexion émotionnelle. Et c’est ce que je souhaite atteindre avec l’adaptation de « Seul le Silence ». Même si je sais que la littérature et le cinéma sont très différents, je pense qu’il est possible de capturer le pouvoir des émotions avec les images. Olivier Dahan sait créer un monde et en transmettre ses émotions, comme il l’a fait avec LA MÔME.

SilenceQuels sont les défis premiers d’adapter son propre travail pour un medium aussi différent ? Couper dans le récit a-t-il été difficile pour vous ?

S’il y a eu une chose difficile, ce n’était pas de faire des sacrifices dans le récit, mais plus le fait que beaucoup de choses dans le roman sont subjectives et intimes, et il est nécessaire d’en faire quelque chose d’objectif et extériorisé. Un roman comme « Seul le Silence » s’intéresse au monde intérieur de chaque personnage : leurs pensées, leurs sentiments, leurs choix. Et j’ai dû faire de tout ça un monde extérieur. Tout ce qui se passe dans les têtes des personnages devait être transformé en dialogues et en situations, et parfois cela n’a pas été aisé. Car dans le scénario il n’y a ni voix off, ni narrateur, des procédés que je ne voulais pas utiliser.

DylanVous êtes aussi musicien… En lisant « Seul le Silence », j’ai souvent pensé à Bob Dylan. Est-ce quelque chose d’induit par le contexte du roman ? Ou quelque chose que l’on peut attendre du film s’il se fait ?

C’est drôle que vous me parliez de Dylan, car quand j’ai rencontré Olivier Dahan, il travaillait à la post-production de son prochain film, MY OWN LOVE SONG, dont la bande-son a été écrite par Bob Dylan ! En tant que musicien et écrivain, je réfléchis effectivement en termes musicaux quand j’écris, mais pour « Seul le Silence », j’avais en tête quelque chose de très simple et minimaliste. Du piano principalement. Quelque chose s’approchant de ce qu’ils ont fait sur TRUMAN CAPOTE. Il se trouve que j’ai rencontré une jeune femme, Jenny Macquart, professeur de musique à Strasbourg, qui compose au piano. Après avoir lu « Seul le Silence », elle a écrit des morceaux inspirés des émotions qu’elle avait ressenties. Nous sommes devenus amis et sa musique est merveilleuse. Très simple, mais très évocatrice. Cela collait parfaitement à ce que j’avais imaginé pour « Seul le Silence », même si dans ma tête, je pensais aussi à de la slide guitar, comme ce qu’a pu faire Ry Cooder pour la BO de PARIS, TEXAS.

Votre style est très visuel. En êtes-vous conscient, travaillez-vous à cet aspect de votre écriture ? Ou est-ce que ce style très cinématographique est le fruit d’influences inconscientes ? Est-ce que cela vous a aidé à scénariser SEUL LE SILENCE ?

Oui, je pense effectivement que mon style est très visuel. Je m’intéresse à comment transcrire avec des mots toutes sortes d’émotions, idées, pensées… Cela vient des livres que j’aime, mais aussi du fait de mon amour profond pour le cinéma. Je suis passionné de cinéma. Je ne regarde pas la télé, mais je regarde le plus de films que possible. Principalement des classiques, des films français, italiens. Les films européens ont cette ambiance et ce style si particulier que l’on ne trouve dans aucune autre cinématographie. C’est plaisant d’un point de vue esthétique et sensoriel. Avec le cinéma européen, tout va toujours au-delà de ce que vous voyez et entendez. Cette façon de voir les choses m’est d’une grande aide pour écrire.

Avez-vous des contacts pour des adaptations de vos autres romans ?

J’ai reçu des mails, oui. Il y a eu quelques discussions avec différentes personnes. Mais je pense que tout intérêt pour une quelconque adaptation de mon travail ne sera rehaussé que lorsque quelqu’un se mettra en tête de travailler dessus. C’est comme ça que les choses se font en général. Personne ne fait vraiment attention à vous avant que quelqu’un ne fasse quelque chose qui attire la lumière sur votre travail. Je suis patient, alors je vais attendre que cela se fasse !

CandlemothDepuis votre premier roman en 2003, CANDLEMOTH (non traduit en français, ndlr), vous écrivez un roman par an. Où trouvez-vous vos idées et comment prennent-elles vie ? C’est quelque chose de très mystérieux pour quelqu’un n’écrivant pas. Est-ce que ça l’est pour vous aussi ?

Paul Auster a dit que devenir écrivain n’est pas un « choix de carrière ». Ce n’est pas un métier que vous choisissez, c’est lui qui vous choisit. Une fois que vous acceptez n’être fait pour rien d’autre, vous devez vous préparer à entamer un long et difficile voyage. J’aime cette idée. Je crois avoir su dès mon plus jeune âge qu’écrire n’était pas un boulot, mais une vocation. C’était quelque chose que je DEVAIS faire. Durant les seize années où j’ai écrit sans être publié, je me disais tout simplement que je n’avais pas encore trouvé le bon éditeur, et que je me devais de persister. Benjamin Disraeli (homme politique britannique du 19eme siècle, ndlr), disait que « le succès dépend entièrement de la constance du but qu’on se fixe ». C’est le credo que je me suis donné. Il fallait que je travaille dur, que je m’implique toujours plus, et au final je finirai par réussir. Cela dit, même aujourd’hui, j’ai des critères quasi inatteignables. Je veux toujours m’améliorer, publier toujours plus de romans, et avoir toujours plus de lecteurs. C’est ma personnalité, et je ne pense pas en changer un jour. Concernant la naissance des idées, je crois que chacun de nous a une vision unique de la vie. Danseur, chorégraphe, poète, peintre, musicien, cinéaste, peu importe ce que vous êtes, vous regardez la vie avec des yeux qui n’appartiennent qu’à vous, et cette singularité est inspiratrice. C’est de cette façon que la créativité fonctionne selon moi. J’aime écrire, j’aime cuisiner, j’aime jouer de la guitare. Je suis un passionné, j’aime discuter, faire des rencontres, expérimenter de nouvelles choses, et je pense que cette ouverture favorise l’apparition des idées.

Aimeriez-vous écrire un script que vous n’auriez pas développé en roman auparavant ?

Si un de mes romans devient réellement un film, alors peut-être que cela m’inspirera. Mais je ne suis pas sûr de vouloir m’engager dans un travail dont je ne sais pas s’il se concrétisera. J’écris des romans dont je suis aujourd’hui certain qu’ils seront publiés. Cela me plaît et c’est comme cela que je veux travailler aujourd’hui. L’idée de passer des mois à écrire un scénario sans savoir si quelqu’un le lira ne m’attire pas… J’ai fait cela avec mes 22 premiers romans, et je ne veux pas retomber là-dedans !

AnonymesVous dites ne pas regarder la télé et dans votre roman « Les Anonymes » (sortie en France prévue en février 2011), vos personnages critiquent sévèrement la série LES EXPERTS. Pensez-vous que les séries policières ont tué le roman noir ?

Je ne pense pas que les amoureux du roman noir s’en sont éloignés à cause des EXPERTS. Après, les jeunes lecteurs sont peut-être plus intéressés par des thrillers alertes où l’enquête est résolue en 200 pages. Mais vous le savez comme moi, cela ne se passe pas comme ça dans la vie. Lors de mon dernier passage en France, un journaliste m’a qualifié d’auteur de « thriller au ralenti ». J’ai adoré ça ! Cela dit absolument tout sur mon travail.

Dans « Les Anonymes », Catherine regarde LA VIE EST BELLE de Capra sachant qu’elle va mourir. Quel film choisiriez-vous ? Quels sont vos films et réalisateurs préférés ?

Quelle question ! LE PARRAIN, sans doute. Ce serait pas mal, non ? Quant à mes films et réalisateurs favoris, c’est une question difficile. Ce serait comme me demander de choisir mon livre ou ma chanson préférée. Mais je dirais que je suis passionné par l’âge d’or d’Hollywood. Les films avec James Stewart, Cary Grant, Edward G. Robinson, Bogart et Bacall, James Cagney, Robert Mitchum, Barbara Stanwyck, Audrey Hepburn, Bette Davis. Pour les plus récents, Alan J. Pakula, Sidney Lumet, Stanley Kubrick, Dito Montiel, Jane Campion, Oliver Stone, Paul Thomas Anderson, Martin Scorsese, Francis Coppola, Clint Eastwood, David Fincher, Ridley Scott, Steven Spielberg, les frères Coen, Robert De Niro (dont je considère AFFAIRES D’ETAT comme un chef d’œuvre). Mais il y en a tellement !

Quels films avez-vous aimé en 2009 ?

Ce ne sont pas forcément des films faits en 2009, mais que j’ai vus en 2009 : TRUMAN CAPOTE, GRAN TORINO, MAN ON FIRE, PRESQUE CÉLÈBRE, SYRIANA, BURN AFTER READING, SIDEWAYS, 36 QUAI DES ORFÈVRES, INGLOURIOUS BASTERDS, LES FAUSSAIRES, BONS BAISERS DE BRUGES, LES INSURGÉS, MUNICH, NO COUNTRY FOR OLD MEN… Je pourrais continuer pendant deux pages !

Si vous deviez choisir un cinéaste pour adapter chacun de vos romans ?

Pour « Candlemoth », Clint Eastwood. Sidney Lumet pour « Ghostheart », Martin Scorsese, Francis Coppola ou Robert De Niro pour « Vendetta », Michael Mann pour « City of Lies », Alan J. Pakula pour « Les Anonymes », David Fincher pour « The Anniversary Man », et Paul Thomas Anderson pour « Saints of New York ». Et puis, maintenant, Olivier Dahan pour « Seul Le Silence ».

copyright David Delaporte

copyright David Delaporte

« Seul le Silence » est disponible en Livre de Poche et aux Éditions Sonatine

« Vendetta » est disponible aux Éditions Sonatine

« Les Anonymes », traduction de « A Simple Act of Violence » sera disponible en Français aux Éditions Sonatine en février 2011

Les autres romans de RJ Ellory sont disponibles en version anglaise aux éditions Orion

Site officiel de Roger Jon Ellory

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