UNE PLUIE SANS FIN : chronique

25-07-2018 - 10:07 - Par

UNE PLUIE SANS FIN : chronique

Premier film du réalisateur chinois Dong Yue, ce thriller entre la tragédie et le whodunnit fait état d’une Chine souffrant du changement.

 

Rarement un long-métrage n’aura si bien porté son titre. Et ce à plusieurs niveaux. Une pluie dense s’abat en effet sans discontinuer sur la ville de Changning, dans la province du Hunan, au sud de la Chine, pendant les deux heures du film. Une pluie froide, lourde, donnant l’impression d’un ciel bas, écrasant, sans lueur d’espoir. Comme la vie de Yu Guowei, qui est au centre d’UNE PLUIE SANS FIN. On le croise au début du film, en 2008, alors qu’il refait ses papiers d’identité, après dix ans passés derrière les barreaux. Il épelle son nom par la signification de chaque syllabe : « Yu » pour Restes inutiles, « Guo » pour Nation et « Wei » pour Glorieuse. Et c’est ce qu’il est, un jeton jetable d’une société bouleversée par le développement économique. Retour en 1997, alors que Hong Kong s’apprête à être rétrocédée à la Chine et que le président Jiang Zemin commence à revendre les sociétés d’Etat trop endettées, Guowei est le chef de la sécurité d’une vieille usine. Élu employé de l’année, cet agent modèle, asexué et zélé, va aider la police locale en sous-effectif à enquêter sur plusieurs féminicides qui semblent liés. Mais il y a aussi cette femme, Yanzi, une prostituée qu’il va aider à ouvrir un salon de coiffure, elle qui ne rêve que de s’exiler à Hong Kong. Et ce jeune ouvrier Xiao Liu, un de ses sous-fifres, qui le voit comme un mentor. Mais tout ce que touche Guowei tourne à l’aigre. Obsédé par une enquête qui n’est pas la sienne, investi par un devoir supérieur qu’il se croit attribué de façon quasi divine, secoué d’un désir patriotique frôlant la dévotion religieuse, Guowei n’est plus en adéquation avec son temps. Le monde est en changement et il n’est pas prêt à l’accepter, ni même à le voir. Son obsession pour la traque du serial killer n’est que le leurre qui l’empêche de regarder sa propre fin. Un leurre si puissant qu’il va le conduire à la folie. Une démence subtilement montrée par la mise en scène désaturée – au niveau de ses couleurs mais aussi de son oxygène – de Dong Yue, ancien directeur de la photographie, pleine d’ellipses, semblant indiquer le glissement de l’esprit du héros vers la névrose. Centré sur ses personnages, UNE PLUIE SANS FIN filme cependant la ville et la campagne avec une maestria qui n’est pas sans rappeler Jia Zhang-ke mais avec la noirceur abyssale d’un Bong Joon-Ho période MEMORIES OF MURDER. Récit de la fin d’un temps, portrait d’une Chine à la limite de la bipolarité, le long-métrage à l’atmosphère pesante de Dong Yue impressionne par sa maîtrise. Très prometteur pour un premier essai.

De Dong Yue. Avec Yihong Duan, Yiyan Jiang, Yuan Du. Chine. 1h57. Sortie le 25 juillet

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