LES BANSHEES D’INISHERIN : chronique

28-12-2022 - 09:30 - Par

LES BANSHEES D’INISHERIN : chronique

L’absurdité de la fin du vivre-ensemble. Pas de prêchi-prêcha, mais une tristesse écrasante et déprimante. Et bonne année, surtout.

 

Après un premier acte qui laisse planer le doute sur le contexte de son récit, jouant avec malice sur une certaine intemporalité, LES BANSHEES D’INISHERIN finit par préciser son époque : 1923. Ce que les habitants voient au large de leur île – des explosions –, ce qu’ils entendent lorsque le vent porte – des coups de feu –, sont les stigmates d’une guerre civile qui déchire les indépendantistes d’Irlande. « C’était plus simple quand on était unis et qu’on tuait les Anglais », lance un personnage. LES BANSHEES D’INISHERIN n’a pourtant rien d’un film historique. Peu importe la guerre qui a lieu en arrière-plan : ce que Martin McDonagh raconte ici, c’est l’absurdité qui sous-tend tous les conflits. On connaît la capacité du cinéaste à utiliser le genre pour maximiser l’efficacité de ses histoires – comme avec le western et le revenge movie dans THREE BILLBOARDS. Ici, il décale la démarche et use d’une métaphore. Sur cette île d’Inisherin, ce matin-là, Pádraic (Colin Farrell) vaque à ses occupations et compte bien passer la journée au pub avec son meilleur ami, Colm (Brendan Gleeson). Sauf que celui-ci lui apprend… qu’il ne veut plus lui parler. La raison, cruelle, médiocre et insensée, McDonagh l’étudie et la développe tout d’abord avec un humour incisif, à coups de ping-pong verbal, de vannes cinglantes et de situations décalées. Comme s’il lorgnait vers la grosse comédie monthy-pythonesque. Jusqu’à ce qu’il profite d’avoir poussé le spectateur à baisser la garde pour lui asséner ses coups les plus redoutables. Car soudainement, le récit bascule. Non pas avec un événement visible qui bouleverserait la donne. Mais subtilement, sans s’annoncer. La comédie laisse soudainement sa place à la tragédie. L’absurdité passe de rigolarde à détestable. Et l’ensemble de sombrer scène après scène dans un état dépressif, pessimiste, où plus rien n’a de sens ni d’issue et où la gentillesse et le vivre-ensemble se désagrègent, bouffés par une diffuse mélancolie puis une franche tristesse. Là, l’interprétation des comédiens se révèle absolument essentielle : la précision de Gleeson dans l’inflexibilité ; l’humanité de Kerry Condon et Barry Keoghan, seules âmes un tant soit peu saines ; et surtout l’universalité de Colin Farrell, décidément l’un des acteurs les plus passionnants de notre époque, capable de faire oublier son aura et son physique de star pour crédibiliser chacun de ses personnages, aussi ordinaires soient-ils. Les regards de Pádraic devant l’effondrement de son monde, apeurés et d’une tristesse sans nom, resteront parmi les grandes et mémorables images de cinéma de 2022.

De Martin McDonagh. Avec Colin Farrell, Brendan Gleeson, Kerry Condon. Irlande. 1h54. En salles le 28 décembre

 

Note : 4/5

 

 

 

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