SALTBURN : chronique

21-12-2023 - 16:55 - Par

SALTBURN : chronique

Après PROMISING YOUNG WOMAN, vindicatif et féministe, la Britannique Emerald Fennell filme les passions d’un jeune homme pour un bel éphèbe et sa riche famille.

 

Hommage aux récits gothiques britanniques, SALTBURN a été filmé en 1:33 pour épouser la forme du manoir éponyme où se déroule la majeure partie du film. C’est dans ce théâtre comique au gigantisme irréel qu’Oliver Quick (Barry Keoghan), jeune homme désargenté aux parents malades et toxiques, est invité par Felix (Jacob Elordi), son nouvel ami de l’université d’Oxford. Oliver en pince pour Felix, échalas au regard ravageur, élégant, poli, différent des gosses de riches qui pullulent sur le campus et se moquent des boursiers comme Oliver. Dans cette demeure cossue, au jardin labyrinthique, le modeste étudiant fait la connaissance de la famille Catton, la mère ex-mannequin à la bonté miséricordieuse (Rosamund Pike), le père (Richard E. Grant) vieux bourgeois au sourire carnassier, Pamela (Carey Mulligan) une amie qui cache poliment sa détresse derrière des apparats à la Vivienne Westwood, la sœur (Alison Oliver) témoin désabusée du cirque tenu tous les étés à Saltburn et Farleigh, le cousin (Archie Madekwe), la peste. Les Catton sont soudés, oisifs, ont un point de vue vaguement détaché sur la société, des émotions au rancart. Le monde leur appartient, tout leur est dû. Un entre-soi qu’Oliver envie, une richesse qu’il convoite. Un homme qu’il désire si fort que la dynamique des pouvoirs, le temps des vacances, pourrait bien exploser. Dialogué avec une méchanceté tordante et un sens de la répartie jubilatoire, SALTBURN repose sur une écriture incisive et rigoureuse, qui l’emmène dans des recoins inattendus de la romance adolescente. Et pour mener un récit aussi surprenant, Barry Keoghan, ses yeux perçants, son aura déconcertante, sa bonhomie qui se trouble doucement, est le meilleur guide. Si les Catton peuvent dire les pires horreurs, il pourrait bien les prendre au mot et répondre à leur petitesse par l’action. Il y a bien sûr une histoire de classes dans SALTBURN, puisque c’est la marotte du cinéma anglais, mais pas forcément la plus évidente. Dans un système où seuls les puissants et les miséreux sont dignes d’intérêt les uns pour les autres – et aussi pour le cinéma –, la classe moyenne brille par sa discrétion, peu cinégénique, peu dramatique. C’est dans ce qu’Emerald Fennell décide de taire que SALTBURN tire son propos, sa force mais aussi son plus grand défi. Cacher au spectateur sans s’attirer ses foudres, pousser la perversion du dialogue qu’elle engage avec le public sans pourtant jamais succomber à la basse provocation mais en maniant avec finesse le curseur de la transgression. Ce qu’elle veut bien montrer est joyeusement dégueulasse, allègrement violent, jovialement sexuel. Et pourtant, s’il est véritablement ludique, SALTBURN nourrit une colère et un désespoir profonds. C’est une histoire d’aujourd’hui, sur les différences irréconciliables, sur les obligations qui éclatent en morceaux. Et devant ou derrière la caméra, c’est surtout un grand film sur l’art de la dissimulation.

D’Emerald Fennell. Avec Barry Keoghan, Jacob Elordi, Rosamund Pike. Grande-Bretagne. 2h07. Sur Amazon Prime Vidéo le 22 décembre

Note : 5

 

 

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