L’INNOCENCE : chronique

27-12-2023 - 17:24 - Par

L’INNOCENCE : chronique

Structure trompeuse et finesse d’écriture : Kore-eda détricote les mécaniques du mensonge (et du cinéma) pour revenir à l’essentiel.

 

Le cinéma de Hirokazu Kore-eda a cela de fascinant qu’il apparaît à la fois immuable et sujet à de très subtiles mutations. Deuxième film de sa carrière seulement à utiliser un ratio 2.35 après THE THIRD MURDER, L’INNOCENCE partage avec ce dernier d’être construit comme un récit-enquête où la vérité vient peu à peu balayer les mystères et les mensonges. Minato, 10 ans, agit étrangement. Saori, sa mère, veuve, s’inquiète et pense qu’il subit un harcèlement scolaire. Lorsque son fils lui confie la violence de son professeur, elle alerte l’école. Là, on retrouve le Kore-eda observateur de la société japonaise qui, sans porter de jugement sur ses protagonistes, documente et interroge les conventions sociales. Saori subit un ostracisme parce que mère célibataire ; elle confronte la méfiance que l’on oppose trop souvent aux victimes ; et L’INNOCENCE de tirer le portrait inquiet du patriarcat et de la cellule familiale traditionnelle. Cette première partie surprend par touches car Kore-eda y injecte un humour qui, s’il ne lui a jamais fait défaut, tire ici vers un absurde quasi kafkaïen. Une apathie semble ronger les professeurs, une lâcheté même ; tout n’est que tractations politiques et absence de communication, les valeurs nippones comme en bout de course. Puis Kore-eda et son scénariste Yuji Sakamoto bouleversent subitement la donne en invoquant l’effet Rashomon. Si L’INNOCENCE se présentait jusque-là comme un (excellent) Kore-eda presqu’attendu dans ses thématiques et sa mécanique, le film détricote soudainement ce que l’on imaginait et propose une étude toujours plus dense et plus fine des mécaniques du mensonge. La vérité, finalement, s’avère toute simple, anodine, loin des schémas alambiqués et des révélations tonitruantes du thriller. Tout ce qui a précédé revêt de nouvelles significations, dévoilant un tout nouveau poids sur la psyché et les sentiments de Minato. L’INNOCENCE se pare inconsciemment de puissants atours méta en assumant sa nature manipulatrice, qu’il partage avec le cinéma lui-même. Aveuglés par des écrans de fumée (la norme sociale étant sans doute le plus épais et inextricable), par diverses rumeurs, par une prétendue quête de vérité et par le suspense qui en découle, les personnages et le spectateur en avaient oublié l’essentiel : regarder l’autre et saisir ses sentiments. Kore-eda recadre ainsi brutalement sur le plus important. Cette prise de pouvoir de l’humain sur l’intrigue est l’étincelle d’un choc empathique et, sur les sublimes notes en suspens du piano de Ryuichi Sakamoto, le vecteur d’une puissante décharge émotionnelle finale.

De Hirokazu Kore-eda. Avec Soya Kurokawa, Hinata Hiiragi, Sakura Ando. Japon. 2h06. En salles le 27 décembre

Note : 4

 

 

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