PRISCILLA : chronique

03-01-2024 - 11:57 - Par

PRISCILLA : chronique

Le biopic, formidablement anglé, de Priscilla Presley, tiré des Mémoires de l’ancienne épouse d’Elvis, productrice exécutive sur le film.

 

Des orteils qu’on vernit de fuchsia, qui s’agitent sur une moquette vieux rose. Une paupière qu’on maquille de noir. Dans le détail, en gros plan, Sofia Coppola nous présente Priscilla Beaulieu, 14 ans, jolie et coquette. Son éclat, sa pétillance, mettent de la couleur sur la base de l’armée américaine de Berlin ouest, où son père est posté en 1959. Autre époque, autres mœurs : un soldat lui propose, vu qu’elle s’ennuie, de l’emmener, avec sa femme, à une soirée qu’organise Elvis, lui aussi en service en Allemagne. L’autorisation des parents, le couvre-feu, la garde-robe. Ce qui ressemble à un rabattage n’en est pas un. Voilà cette ado, immobile et silencieuse, un verre de coca à la main, attirer l’attention du chanteur-star des États-Unis. Direction la chambre où il l’assoit sur une banquette. Il ne tentera rien. Il ne la touchera pas jusqu’à sa majorité, mais elle sera sa petite amie, pleine de désir adolescent. Elle vit au gré de ses absences, des billets d’avion qu’il lui envoie, des rumeurs de liaisons sur les tournages. Elle est sa compagne, auprès de lui, dans la voiture aux vitres teintées, assaillie de flashs, puis quand il part, il la laisse là, au beau milieu de sa horde de fans. Si le ELVIS de Baz Luhrmann piochait dans le camp, le baroque et le grotesque pour faire le portrait du Elvis génial mais victime, Sofia Coppola gratte, elle aussi, le vernis mais pour raconter toute sa toxicité sans en excuser la provenance. Ce qui l’intéresse, c’est le grand-huit intenable qu’a vécu cette jeune fille dans l’univers d’Elvis – le récit se borne à sa rencontre avec lui et le moment où elle le quitte –, la vie, une peu volée, de cette poupée cantonnée par son époux au diorama Graceland. Sidérant travail esthétique que celui d’accorder sans cesse ses vêtements aux intérieurs comme si Elvis l’avait choisie car elle allait avec le décor. Second rôle du film mais omniprésent – il est le maître des horloges, décide de ses vêtements, de la prise de médicaments avec une douce fermeté –, Elvis conditionne Priscilla jusqu’au moment salvateur de la prise de conscience. Alors, face au gigantisme de Jacob Elordi, Cailee Spaeny, menue et gracile, puise ses forces dans un jeu féroce qui vient muter sa candeur enfantine en une colère de femme. Récit d’apprentissage, portrait d’un amour rendu impossible par le déséquilibre des forces, éloge de la beauté et critique de ce que l’on en fait, ce PRISCILLA est peut-être – même s’il a tout de la petite musique coppolesque – le plus impitoyable des films de Sofia Coppola, dont la bienveillance du regard posé sur Priscilla n’a d’égal que la cruauté de celui posé sur les hommes de pouvoir.

De Sofia Coppola. Avec Cailee Spaeny, Jacob Elordi, Dagmara Dominczyk. États-Unis. 1h53. En salles le 3 janvier

Note : 4

 

 

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