AFTERSUN : chronique

31-01-2023 - 13:29 - Par

AFTERSUN : chronique

Premier long-métrage de Charlotte Wells, AFTERSUN s’impose comme l’un des films les plus beaux et complexes de ce début d’année. Une véritable découverte.

 

Tout commence par un plan où une petite fille, Sophie (Frankie Corio), filme son père, Calum, au camescope et lui demande si à 11 ans, qui est accessoirement son âge à elle, il était capable de se projeter dans le futur, dans aujourd’hui. Petit à petit, ce plan laisse apparaître le reflet d’une silhouette dans le coin le plus sombre de l’image. Cette image, c’est en fait la diffusion sur un écran de télé d’un vieux film de famille, que Sophie, désormais trentenaire, fait défiler, assise sur son canapé. Le passé et le présent se tutoient dans un même cadre, le réel et l’hypothèse, le loin et le proche, par une composition au millimètre comme une note d’intention : les temps et les lieux doivent fusionner pour qu’on espère avoir une vue d’ensemble et y déceler des indices. Mais des indices de quoi ? Pour son premier long-métrage, chronique des vacances que passent ensemble en Turquie un père divorcé et sa fille, la réalisatrice Charlotte Wells impose une écriture, dramatique et esthétique, très complexe sous ses airs anodins. Car c’est par le souvenir de Sophie adulte que sont racontées ces vacances. L’exercice de subjectivité a un enjeu important : pouvait-elle savoir ? Aurait-elle pu voir ? À l’instar des stroboscopes d’une rave party, qui entrecoupent le récit serein du passé, l’image de Calum reste pour Sophie, pour nous, insaisissable. Sous les traits de Paul Mescal, silhouette massive mais visage grâcieux, ce père, étrange, peut être aussi chaleureux que sombre, aussi jovial qu’habité. Depuis ses courts-métrages, Charlotte Wells travaille un ton où la tragédie étouffe sous le déni, un cinéma de la sidération, sans effusion, suspendu au risque de déflagration. Ainsi on s’en doute : ces vacances sont spéciales. Une silhouette sur un balcon une nuit d’insomnie, un karaoké qui vire au fiasco, des regards plus fuyants. Quelque chose se délite lentement. C’est là que la douleur explose inattendue, primitive et violente. Sur fond du « Under Pressure » de Bowie et Queen, passé et présent se télescopent et par l’image fixe, intermittente, des corps s’éloignent et s’étreignent. La présence et l’absence se disputent une seule et même prodigieuse scène. Charlotte Wells éteint soudain le soleil aveuglant de Turquie, si aveuglant d’ailleurs qu’à la place de Sophie, nous non plus nous n’aurions rien vu. AFTERSUN est un film en fausses pistes : discret dans sa dramaturgie, pudique, expérimental parfois, il tricote son histoire une scène anodine à la fois. C’était si doux, si quotidien, si inoffensif que, comme Sophie, on ne pouvait présager du chaos ni de la puissance de cette tranche de vie.

De Charlotte Wells. Avec Frankie Corio, Paul Mescal, Celia Rowlson-Hall. États-Unis. 1h42. En salles le 1er février

Note : 5/5

 

 

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