ALI & AVA : chronique

01-03-2022 - 17:00 - Par

ALI & AVA : chronique

Déviant du socioréalisme britannique parfois chagrin, Clio Barnard raconte l’amour qui triomphe des différences et du regard des autres.

 

Bien qu’il définisse le cinéma anglais depuis les années 30 en passant par une période faste dans les années 50 avec le Free Cinema dont découlera la nouvelle vague britannique – Karel Reisz (C’EST NOUS LES GARS DE LAMBETH, SATURDAY NIGHT AND SUNDAY MORNING) ou Tony Richardson (UN GOÛT DE MIEL) –, le réalisme social à l’anglaise est souvent résumé à Ken Loach ou à Mike Leigh. Soit du grain à l’écran, une photo à l’os, peu d’artifice de mise en scène, des acteurs débarrassés de leur majesté – quand ils ne sont pas amateurs. Le naturalisme chevillé à la caméra, les cinéastes-phares s’intéressent aux injustices, aux inégalités, aux défis économiques. Les amours sont toujours un peu empêchées par le contexte social. Au-delà de ce réalisme cru et frontalement politique, la génération suivante – Joanna Hogg, Andrea Arnold et Clio Barnard – est parvenue à insuffler un renouveau à ce cinéma anglais engagé. Les portraits de l’Angleterre de la working class – au pire, de la middle class – sont tout aussi emprunts de réel mais vont chercher un certain romanesque que le cinéma britannique ne semble parfois réserver qu’aux grands récits en costumes. ALI & AVA se déroule à Bradford, non loin de Leeds, ancien royaume du textile et désindustrialisé. Ali (Adeel Akhtar, impressionnant) est un ancien DJ, logeur d’une famille d’immigrés slovaques ; il est en cours de séparation, sa femme, plus jeune que lui, ayant décidé de le quitter. Ali rencontre Ava (Claire Rushbrook), assistance scolaire, mère d’une jeune femme métisse – son père était d’origine pakistanaise – et d’un garçon raciste – dont le père était d’un nationalisme dur. Ali doit avoir la quarantaine, elle, peut-être la cinquantaine. Par bien des côtés, notamment par leurs goûts musicaux radicalement différents, ils pourraient être incompatibles, mais ils ont la même douceur, quelque chose de fêlé en eux qui les rapproche. Ils ont un bagage, un passé, et tout n’est pas simple. C’est tout ce qu’il y a à dire du film de Clio Barnard qui parvient pourtant avec ce pitch minimal – presqu’un défaut de dramaturgie – à offrir à ses personnages des destins romantiques et des sentiments épiques. Le portrait peint par la réalisatrice de ce Bradford multiculturel, très classe moyenne, est apaisé, bienveillant, et elle épargne ainsi son histoire des messages sociaux habituels. Une histoire d’amour inscrite dans la tradition socioréaliste du pays, ça pourrait être contre-intuitif mais pas chez ceux qui, de Clio Barnard à Francis Lee pour SEULE LA TERRE par exemple, voient dans la puissance des sentiments un sujet politique d’importance. 

De Clio Barnard. Avec Adeel Akhtar, Claire Rushbrook, Shaun Thomas. Grande-Bretagne. 1h35. En salles le 2 mars

4Etoiles

 

 

 

 

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