Après l’époustouflant THE MAJOR, gros retour du cinéma kafkaïen de Yuriy Bykov. L’IDIOT ! ou l’idéalisme assassiné.
Baltasar Kormakur ou Shim Sung-bo ont choisi l’image du gros bateau qui prend l’eau pour parler du naufrage économique ou moral de leur pays dans respectivement SURVIVRE (l’Islande) et SEA FOG (la Corée du sud). Yuriy Bykov opte pour l’immeuble vétuste pour s’attaquer à la Russie. Son héros, Nikitin (à priori l’idiot du titre), est un plombier qui, lors d’une intervention dans un appartement, réalise que la bâtisse, vieille de 40 ans, va bientôt s’effondrer. Il se met en tête d’alerter en urgence et en pleine nuit les autorités compétentes – des fonctionnaires avinés qui célèbrent l’anniversaire de la mairesse – sur l’imminent désastre. Mais l’échéance va prendre des allures de compte à rebours devant la corruption ambiante. Le héros de THE MAJOR, précédent film de Bykov, se heurtait à l’impunité de la police alors que lui-même, flic responsable de la mort d’un enfant, remuait ciel et terre pour se faire arrêter. L’IDIOT, lui, tente de sauver des vies alors même que le peuple, les notables, les politiques et l’État se complaisent dans l’inertie. Des grands thèmes, un grand message, pour une toute petite histoire, aux résonances étouffées par la neige et à la liberté d’action contrariée par l’architecture soviétique typique – des toute petites pièces pour de petits appartements dans lesquels les générations cohabitent. On est évidemment en pleine fable kafkaïenne, avec un héros broyé par le système, à l’entêtement absurde, et aux scrupules exotiques. On le traite d’idiot. Il l’est de penser qu’il peut s’arroger, seul, l’aide de hauts fonctionnaires pour sauver le monolithe russe. Il l’est d’être l’un des derniers à croire naïvement que le bien commun prévaut sur la somme des intérêts individuels. Sous la grisaille d’un film social en province russe, c’est le cœur d’un thriller quotidien et domestique qui bat, fort d’une colère sourde à l’encontre de l’injustice et l’oppression du petit peuple. Mais il est tout aussi en pétard contre le peuple lui-même (présenté comme une masse avinée incapable de distinguer l’oppresseur du sauveur) et la jeunesse russe, qui zone, dégrade, se soûle et ricane. Yuriy Bykov modernise le cinéma contestataire russe, en conservant la dimension allégorique mais en lui insufflant l’efficacité des films occidentaux. Le rythme est vif, la caméra est mobile, le plan séquence se fait à l’épaule, il y a un sens de l’action, aussi peu spectaculaire soit-elle. Et puis, il y a surtout le refus de la contemplation, le souci de l’immersion, cette volonté de prendre la parole même si penser que le cinéma changera la Russie serait idiot.
De Yuriy Bykov. Avec Artem Bystrov, Natalia Surkova, Dmitry Kulichkov. Russie. 1h56. Sortie le 18 novembre
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