SANS UN BRUIT : chronique

19-06-2018 - 19:02 - Par

SANS UN BRUIT : chronique

Lorsque la société de Michael Bay produit du néo-Amblin, ça donne SANS UN BRUIT, thriller fantastico-horrifique à couper le souffle et chronique touchante des peurs qui hantent une famille. D’une maîtrise impressionnante.

 

L’essor des plateformes de SVOD et l’essoufflement de la distribution d’un certain type de cinéma ont fait ressurgir le débat sur l’importance de la salle de cinéma. Mais aucun argument enflammé ne pourra jamais mieux plaider en sa faveur qu’un film. SANS UN BRUIT, dans l’attention qu’il requiert du spectateur, dans l’expérience viscérale et sensorielle qu’il offre, rappelle le pouvoir de cette sacro- sainte expérience de la salle. Si tant est que le public veuille bien respecter la proposition faite par le film. Une proposition qui, à bien des égards, bafoue les préceptes spectaculaires de l’époque, déjoue les sentiers battus du genre et refuse de se plier à la déliquescence de la concentration du public. S’appuyant sur un récit extrêmement ramassé de 90 minutes, SANS UN BRUIT débute sans préambule, mais dans le calme. Une famille, en silence, cherche des provisions dans une échoppe déserte d’une ville abandonnée. Pour instiller son ambiance, Krasinski joue habilement des plans fixes et du vide, des entrées/sorties dans le champ, d’un son qu’il tord ou musèle à sa guise. Une introduction formidable car elle exige l’implication et la confiance du spectateur. Krasinski met l’emphase sur ses personnages, leurs relations et, dès le départ, refuse la contextualisation sur-explicative, tout en jouant sur des passerelles signifiantes avec la réalité – le 11-septembre notamment. Ses héros sont banals mais vivent dans un monde extraordinaire : isolés à la campagne, ils doivent faire face à des créatures extra-terrestres qui, aveugles, attaquent au moindre bruit. Comment survivre ainsi quand l’Amérique s’est bâtie sur des symboles bruyants – dont l’automobile ? Avec en toile de fond socio-politique la déréliction d’un pays qui ne peut plus compter sur sa puissance et uniquement sur le lien et la confiance inconditionnelle en l’autre, SANS UN BRUIT bâtit son univers avec soin. Le récit cherche des solutions pratiques à chaque situation (le couffin), aligne de jolies idées (la nature tempétueuse, plus bruyante que l’homme, devient sa protectrice), respecte son concept (le bruit attire TOUJOURS les créatures) et propose une conclusion aussi forte émotionnellement que symboliquement. Une rigueur simple d’écriture que John Krasinski honore à chaque instant avec sa mise en scène : il crée des images fortes (un enfant et une créature dans le même plan, ignorant la présence de l’autre) mais saisit dans le même temps l’importance du hors- champ et de la longueur des plans. Il fait un usage malin et justifié du jumpscare – chaque incursion du bruit devant être traumatisante –, tout en ayant l’audace de réduire les dialogues à leur portion minimum. Un silence inhabituel, au cinéma comme dans nos vies, pesant au point d’influer physiquement sur un spectateur forcé de retenir son souffle. Tout, dans SANS UN BRUIT, apparaît soigneusement pensé et réfléchi, rien n’est jamais sali par l’intrigue ou des contingences putassières. Animé par des émotions touchantes, SANS UN BRUIT se sert d’une peur triviale, celle du Monstre, pour aborder des craintes beaucoup plus intérieures, universelles et organiques, que l’on sent très prégnantes chez son auteur. Une précision narrative, visuelle et émotionnelle qui confère à SANS UN BRUIT assurance, puissance et grand pouvoir d’évocation. Tout ce qu’on veut voir au cinéma.

De John Krasinski. Avec Emily Blunt, John Krasinski, Millicent Simmonds, Noah Jupe. États-Unis. 1h30. Sortie le 20 juin

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