SALE TEMPS À L’HÔTEL EL ROYALE : chronique

06-11-2018 - 12:16 - Par

SALE TEMPS À L’HÔTEL EL ROYALE : chronique

Portrait d’une Amérique en crise morale, SALE TEMPS À L’HÔTEL EL ROYALE brille à tous les niveaux : écriture, mise en scène, interprétation.

 

« Les hommes parlent beaucoup, pensent qu’ils croient en quelque chose alors qu’en fait, tout ce qu’ils veulent, c’est baiser qui ils veulent baiser. » Derrière cette réplique qui pourrait passer comme parfait résumé d’une société réveillée par #MeToo, se cache un double sens sur une Amérique qui n’aime rien tant que de se draper dans sa prétendue moralité et ses principes, quand son véritable visage s’avère bien plus sombre et ambigu. 1969, un soir de pluie. Des personnes d’horizons divers se retrouvent par hasard au motel El Royale, construit sur la frontière entre la Californie et le Nevada. Derrière les lisses apparences, tous cachent un lourd secret et des intentions troubles. Cette nuit-là, les masques vont tomber, dans une explosion de violence… À la manière des HUIT SALOPARDS, SALE TEMPS À L’HÔTEL EL ROYALE entend observer au microscope le tissu social américain et la manière dont la violence, le racisme, la misogynie ou l’avidité érodent son homogénéité. Mais, à la différence de Quentin Tarantino, Drew Goddard évite le sarcasme rentre-dedans et goguenard – chasse gardée de QT, maître du genre – et, par là même, les élans post-modernes qui avaient fait le sel mais aussi les limites de son premier long, LA CABANE DANS LES BOIS. Plus littéral, SALE TEMPS À L’HÔTEL EL ROYALE brille avant tout par sa mécanique. Le script construit les masques des personnages par les mots tandis que la caméra dévoile leur véritable identité par l’action. Cette malice de mise en scène, instaurée très tôt dans un long segment virtuose consacré au personnage campé par Jon Hamm, porte tout le film. Fort d’une esthétique vintage assise par un tournage en pellicule, en anamorphique, ainsi que par des décors de studio ne cherchant jamais à passer pour des décors naturels, SALE TEMPS À L’HÔTEL EL ROYALE apparaît comme un objet joliment hors de son temps. Bien qu’il ne lésine jamais sur le spectacle, ménageant surprises, changements de voie et abandons soudains d’intrigues pour déjouer le prévisible, Goddard prend avant tout son temps. De présenter ses personnages. De les laisser vivre à l’écran. Les plans durent, les discussions aussi. Il filme des êtres deviser, réfléchir, hésiter, évoluer, se confesser, s’appuyant avec un plaisir visible sur le brio de l’interprétation – Cynthia Erivo, Jeff Bridges et Lewis Pullman sont bouleversants. Pétri de petites subtilités et d’idées (de transitions, notamment), EL ROYALE ne joue pourtant jamais au plus malin, tout entier dévoué à ses personnages et à son propos qu’il est. Une franche et éclatante réussite.

De Drew Goddard. Avec Cynthia Erivo, Jeff Bridges, Chris Hemsworth. États-Unis. 2h22

4Etoiles

 

 

 

 

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