L’APPEL DE LA FORÊT : chronique

19-02-2020 - 09:00 - Par

L’APPEL DE LA FORÊT : chronique

Très loin de la puissance évocatrice de Jack London, Chris Sanders, coréalisateur de DRAGONS, bafouille un storytelling qui explique plus qu’il ne montre.

 

Année 1890 : chien d’un riche juge californien, Buck est un soir enlevé par un homme peu scrupuleux qui le revend à un très bon prix sur le marché des chiens de traîneaux. Battu pour être désormais soumis à « la loi du gourdin et des crocs », Buck se retrouve embrigadé de force dans la ruée vers l’or en Alaska. Au fil du temps, il passe de maître en maître et ressent grandir en lui un appel. Celui de la nature sauvage…

De toutes les adaptations de « L’Appel de la forêt » (ou « L’Appel sauvage », tel qu’il est titré dans la meilleure traduction française, chez Libretto), celle de William Wellman avec Clark Gable et Loretta Young en 1935 reste sans doute la plus connue et, bien que suivant très peu le matériau qui l’inspire, la plus mémorable – la version de Ken Annakin avec Charlton Heston en 1972, plus fidèle, a elle aussi ses amateurs. Celle que propose aujourd’hui Chris Sanders (LILO & STITCH, DRAGONS, LES CROODS) semble coller au roman de Jack London. En apparence seulement. Car rapidement, l’évidence s’impose : destiné à un public familial, L’APPEL DE LA FORÊT est en grande partie vidé de la substance la plus violente du livre. Moins poétique, moins évocateur, moins dur, tout simplement moins puissant que les écrits de London, L’APPEL DE LA FORÊT ne peut satisfaire les amateurs du livre car il ne parvient jamais réellement à transmettre à l’écran l’ambiguïté des émotions de Buck – la contradiction entre son amour d’un homme et son désir de liberté, mêlée au goût du sang. Toutefois, comme l’a prouvé la version de Wellman, juger un long-métrage uniquement sur sa fidélité à un matériau relèverait d’une vision réductrice et d’une certaine injustice. Le style foisonnant de London, capable d’insuffler en quelques lignes de texte une foule d’informations, de récit et d’émotions, nécessite de faire des choix, de compresser, de simplifier.

Il convient donc de juger avant tout L’APPEL DE LA FORÊT pour ce qu’il est.  Lorsque le récit débute, la patte de Chris Sanders se fait immédiatement sentir : un héritage de son passif dans l’animation hante l’écran, notamment dans la manière cartoonesque dont il met en scène les effets que Buck a sur son environnement – une course dans la maison de son maître fait trembler les murs. Mais en dépit du ton enjoué et plutôt amusant de cette introduction, se pose la question de la crédibilité visuelle de Buck. Campé sur le plateau par un acteur en combinaison de performance capture (comme les primates de LA PLANÈTE DES SINGES) et ensuite entièrement recréé en images de synthèse, Buck ne convainc pas tout à fait. Sans doute parce que Sanders fait le choix, malheureusement peu maîtrisé, d’accentuer ses expressions faciales, qui apparaissent anthropomorphisées ou ostentatoires, loin de celles, subtiles mais compréhensibles pour qui sait les voir, dont sont capables les chiens dans la réalité. Une exagération incapable d’exprimer la complexité du lien qui unit Buck à ses divers maîtres, et notamment au dernier d’entre eux, John Thornton (Harrison Ford).

Ce surlignage contamine tout le film – à l’image du personnage campé par Dan Stevens, secondaire dans le roman et dont le film fait un antagoniste principal, ridicule et forcé. Armé d’une voix off assurée contre toute logique par Thornton alors qu’un narrateur extérieur et omniscient aurait eu davantage de sens, Chris Sanders commente tout, explique trop, décode verbalement les émotions de Buck au lieu de laisser parler ses images. L’APPEL DE LA FORÊT peine ainsi à créer la moindre atmosphère et à laisser le temps au récit de s’installer, d’ancrer ses sentiments. Incompréhensible quand on se souvient de la manière dont DRAGONS œuvrait brillamment sur ce territoire d’un storytelling visuel parfois muet de dialogues, laissant images et musique raconter. Cette maladresse gêne d’autant plus que, lorsque Sanders fait confiance à son histoire et à son œil de metteur en scène, L’APPEL DE LA FORÊT s’envole – la magnifique séquence de combat entre Buck et Spitz ; les aventures de Buck dans la forêt avec la louve. Sans doute parce que le récit oublie alors le point de vue de l’homme pour se concentrer sur celui de Buck. D’autres bonnes idées parsèment le film – l’invention d’un passé tragique pour Thornton, qui se révèle touchant et plutôt pertinent ; la réification de l’appel sauvage par un loup noir énigmatique. Rien qui ne vienne toutefois sauver le film. Pas même l’émotion qui, pourtant, finit par s’imposer. Car ne serait-elle pas tant créée par la mécanique du film que par la subjectivité et la projection du spectateur – qu’il soit lecteur de Jack London et/ou amoureux des chiens ?

De Chris Sanders. Avec Harrison Ford, Omar Sy, Dan Stevens. États-Unis. 1h40. Sortie le 19 février

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