DARK WATERS : chronique

26-02-2020 - 10:11 - Par

DARK WATERS : chronique

25 ans après SAFE, notre environnement nous empoisonne toujours. Ou quand Todd Haynes fait sien un genre a priori éloigné de son cinéma.

 

On avait laissé Todd Haynes avec LE MUSÉE DES MERVEILLES, exercice de style d’une grande maîtrise qui explorait toutes les figures de son cinéma. On le retrouve avec DARK WATERS, thriller juridico-politique de lanceur d’alerte. Un genre roi durant les années 70 avec LES HOMMES DU PRÉSIDENT ou À CAUSE D’UN ASSASSINAT, perpétué depuis par quelques grands cinéastes comme Michael Mann (RÉVÉLATIONS) ou Steven Soderbergh (ERIN BROCKOVICH). DARK WATERS pourrait a priori apparaître moins idiosyncrasique que les autres films de Haynes, d’autant qu’il s’agit presque d’une commande – Mark Ruffalo, producteur, a proposé le projet au réalisateur. Sauf que, comme tous les grands cinéastes, Haynes se saisit du matériau et, par ses choix, finit par se l’approprier. Inspiré de faits réels, DARK WATERS revient sur le combat mené depuis la fin des années 90 par Robert Bilott (Ruffalo). Avocat d’un grand cabinet de défense des industriels, il est contacté par Wilbur Tennant (Bill Camp, bouleversant), éleveur dont les vaches meurent sans raison. Il accuse DuPont, géant de l’industrie chimique, d’empoisonner la région… Qu’ils remettent en cause les fondements d’une société ou qu’ils en soient prisonniers, les personnages de Todd Haynes confrontent tous à leur manière les conventions et les normes. En disséquant les actes (et leurs conséquences) d’une grande entreprise, Bilott s’insère parfaitement dans la galerie de héros « haynesiens » : via l’efficacité et la minutie du thriller, il questionne la reine de toutes les normes, le capitalisme, et son pendant philosophique, la lutte des classes. Il interroge le monopole industriel sur nos vies, le poids écrasant jusqu’à l’absurde du marché dans la conduite des sociétés et l’incapacité, voire la réticence, du pouvoir politique à nous protéger. Des thématiques hautement pertinentes pour l’époque, auquel Haynes insuffle une grande empathie. Tout d’abord parce qu’il opère quelques incursions dans le film d’horreur (les scènes de mort des vaches) et ainsi, baigne DARK WATERS dans des enjeux marquants, palpables. Ensuite parce que, par une mise en scène passant subtilement de la distance objective à l’émotion subjective, de l’enquête haletante à l’impact qu’elle a sur la vie de Bilott, il fait basculer DARK WATERS du thriller au mélodrame, de la fascination à l’indignation. Cette colère empêche le film de tomber dans le triomphe facile et le baigne dans une tristesse anxieuse. Reste le pouvoir de la lutte. « I won’t back down », chante Johnny Cash sur le générique de fin. Un credo comme une définition parfaite du cinéma de Todd Haynes.

De Todd Haynes. Avec Mark Ruffalo, Anne Hathaway, Bill Camp. États-Unis. 2h07. Sortie le 26 février

4Etoiles

 

 

 

 

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