TICK, TICK… BOOM ! : chronique

17-11-2021 - 16:04 - Par

TICK, TICK… BOOM ! : chronique

Qu’est ce qui fait qu’un film vous attrape pour ne plus vous lâcher ? Premier long-métrage de réalisateurs de la star du renouveau du musical américain Lin-Manuel Miranda (IN THE HEIGHTS, « Hamilton »), TICK, TICK… BOOM ! crève le cœur et déborde d’énergie. Virtuose et intime à la fois, un pur film de chevet.

 

Il faut à peine une scène d’introduction pour que le charme fou de TICK, TICK… BOOM ! opère. Quelques images d’archives, une voix-off pudique le temps de quelques mots intimes, le glissement délicat du réel à la fiction, une scène de théâtre, un sourire ironique, trois notes de piano qui tapent et nous voilà déjà emportés. Il y a quelque chose d’à la fois joyeux et déjà un peu triste, de combatif et de perdu d’avance, une sorte de mélancolie heureuse qui donne le ton d’un film qui n’aura de cesse de courir effrontément vers sa fin en la sachant terrible. C’est le drame et la beauté de la trajectoire de Jonathan Larson.

L’auteur-compositeur est mort en 1996 juste avant la première de son spectacle « Rent » à Broadway, qui deviendra l’une des œuvres majeures de la pop culture américaine des 90’s. TICK, TICK… BOOM ! remonte quelques années auparavant, à l’orée des années 90. Larson rêve de grandeur et pense tenir là, au bout de cette semaine qui deviendra le compte à rebours du film, le grand moment de sa vie. Il va présenter sa première grande œuvre, une comédie musicale de science-fiction. À quel moment réussit-on sa vie ? Quelles décisions, quels instants sait-on saisir pour enfin devenir qui l’on est ? C’est tout le chemin passionnant de TICK, TICK… BOOM !, diffracté entre la scène – où Larson et un groupe chantent devant un public son histoire – et le film qui nous glisse dans ses pas hésitants. L’alchimie est totale : théâtre et cinéma fusionnent et l’on navigue sans cesse de Larson personnage à Larson commentateur ironique de sa vie, de ses joies et ses erreurs. Avoir 30 ans à New-York dans les années 1990, rêver sa vie, se heurter au monde et le réenchanter pour survivre.

Il fallait du style, de l’audace, et surtout une conviction inébranlable qu’un spectacle, une chanson peuvent changer une vie, pour réussir à cerner Larson. Constamment inventif, Lin-Manuel Miranda a l’intelligence de mettre sa virtuosité, non pas au service de lui-même et de la démonstration de force, mais au service de ses héros, de son histoire. Chaque moment musical nous rapproche toujours un peu plus des personnages et colle à leurs sentiments. Lyrique, TICK, TICK… BOOM ! est pourtant extrêmement moderne, jouant avec les tonalités, les formes, les hommages pour saisir le pouls de la génération de la fin du siècle dernier. Grand film musical (les chansons de Larson dont le tubesque « 30/90 », la mélancolique « Johnny can’t decide » ou la sublime « Sunday », réécriture onirique d’une chanson de Stephen Sondheim, sont irrésistibles), TICK, TICK… BOOM ! est surtout et avant tout un grand film générationnel, un film de bandes, un film de personnages. L’obsession de Larson, son envie dévorante de reconnaissance, son égoïsme se heurtent à la bascule des années 1990, la paupérisation à New-York, l’épidémie de SIDA, la fin de la fête. Voir ce personnage ne pas vouloir s’arrêter de chanter, passer peut-être à côté de ses proches, de l’important (magnifique Robin de Jesus, en colocataire bienveillant) est un crève-cœur que Lin-Manuel Miranda saisit avec une énergie communicative.

Mais surtout, il y a Andrew Garfield. L’acteur – déjà passionnant chez David Robert Mitchell (UNDER THE SILVER LAKE) – se révèle ici immense. Il donne à Larson un mélange d’enfance et de tristesse bouleversante, quelque chose d’un clown triste à la fois déchirant et irrésistible. Au-delà de la performance artistique, Garfield impose ici un jeu tout en nuances, à la fois physique et cassé. Le voir s’emparer de ce rôle, se glisser dans les pas de Larson, lui donner toute son humanité contrastée (Garfield peut se faire tour à tour attachant et tête à claques) donne à TICK, TICK… BOOM ! un relief supplémentaire. Quand la fête s’arrête, quand le piano ne joue plus et que les notes retombent, quand soudain le vrai Larson apparaît, l’émotion serre la gorge. Tout ça pour ça. Oui, pour la beauté du geste.

De Lin-Manuel Miranda. Avec Andrew Garfield, Alexandra Schipp, Robin de Jesus. États-Unis. 1h55. Le 19 novembre sur Netflix

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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