AFFAMÉS : chronique

16-11-2021 - 20:15 - Par

AFFAMÉS : chronique

Bien qu’il ait été repoussé près de deux ans pour cause de pandémie, le nouveau Scott Cooper n’a pas perdu de sa pertinence. Au contraire.

 

Depuis CRAZY HEART, Scott Cooper se balade de genre en genre pour dresser le portrait de l’Amérique, ses peurs et ses traumas, ses péchés et ses résiliences. Armé de son amour du classicisme et de récits qui aiment prendre leur temps, il confectionne une œuvre presque anachronique, à part dans le paysage contemporain du « jeune » cinéma américain. AFFAMÉS ne va pas déroger à la règle. Produit par Guillermo del Toro, Cooper s’essaie ici au film d’horreur avec une histoire de maîtresse d’école qui tente de sauver un de ses jeunes élèves : sa famille se transforme en monstres sanguinaires qui rappellent la légende amérindienne du wendigo. Ne pas s’attendre à de l’efficacité de grand huit ou à du jumpscare : bien que parfois très sanglant, AFFAMÉS n’est pas tant immédiatement effrayant que d’une tristesse sans nom. Misant sur une ambiance diffuse, il s’insinue sournoisement au lieu de bousculer. Dans un récit en ligne claire, Cooper convoque à nouveau l’Amérique industrielle en ruines qu’il filmait dans LES BRASIERS DE LA COLÈRE. Si celle-ci était alors encore traversée de sursauts de vie, d’une énergie du désespoir qui la conduisait à la violence, celle d’AFFAMÉS apparaît exsangue, apathique, douloureusement enfermée dans sa dépression. Une grande affliction traverse ainsi ses protagonistes, qui plient sous le poids du quotidien et d’un passé qui ne cesse de les hanter. La beauté d’AFFAMÉS réside notamment dans sa facture impressionniste : la narration ne propose aucun rebondissement tonitruant mais l’univers qui la sous-tend se révèle d’une richesse folle. De ce qui se dégage d’un décor usé, d’une forêt sous la pluie, d’informations que l’on glane d’émissions de radio qui squattent l’arrière-plan sonore ou de détails en apparence insignifiants – des mots sur un tableau noir –, émerge tout un monde qui offre au film sa consistance. Alors que le cinéma d’horreur joue souvent, à juste titre, sur une certaine artificialité, AFFAMÉS surprend en restant sur une ligne presque naturaliste, discrètement stylisée (notamment avec de lents travellings et des cadres dans le cadre), qui pourtant, réifie de manière palpable tout un royaume de mythes et de légendes. Il y a deux ans, AFFAMÉS s’imposait comme le portrait particulièrement acéré des états d’âme d’une Amérique fatiguée d’être divisée. Aujourd’hui, après une usante pandémie de COVID et dans ce « monde d’après » toujours plus enclin à reproduire les erreurs du passé, il se fait celui d’une dépression – écologique, politique, morale, économique – bien plus globale. Quoi de plus triste et terrifiant ? 

De Scott Cooper. Avec Keri Russell, Jesse Plemons, Jeremy T. Thomas. États-Unis. 1h39. En salles le 17 novembre

4Etoiles

 

 

 

 

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