L’ÉVÉNEMENT : chronique

23-11-2021 - 18:35 - Par

L’ÉVÉNEMENT : chronique

Lion d’Or à la dernière Mostra, le deuxième film d’Audrey Diwan impressionne par sa maîtrise et sa puissance. Un geste de cinéma esthétique et politique qui met K.O.

 

Le défi était de taille : adapter « L’Événement », récit glacé et glaçant d’Annie Ernaux de cet avortement alors illégal qu’elle a tu pendant des années et portrait, à travers l’expérience de cette jeune femme, de la France engoncée et patriarcale des années 1960. Une écriture sèche et vibrante, intime et politique que le passage au cinéma aurait pu aplanir, aplatir pour bien faire rentrer tout ça dans les cases. Brillamment, avec une force contagieuse, Audrey Diwan fait tout l’inverse. Un film comme un bloc qu’on prend ou qu’on rejette. Une proposition de cinéma radical, pas toujours aimable mais suffisamment puissante, intelligente pour emporter tout sur son passage. Là où Ernaux saisit le récit par le biais de l’intime, de son histoire, et des échos qui la hantent, Diwan – forcément plus à distance – choisit de restreindre le monde à son héroïne. Dans un format 4/3 qui empêche tout débordement, toute échappée, elle focalise le regard sur son personnage qui va occuper tout l’espace. C’est Anne le sujet, son corps de femme, ce que la société lui fait, ce qu’elle va s’infliger pour pouvoir survivre, exister librement. À la manière du FILS DE SAUL – mais d’une façon peut-être moins programmatique, plus sensible et politique encore –, ce parti pris de mise en scène devient tout autant l’outil d’une identification physique totale (on vit avec elle, on ressent tout ce qu’elle ressent) que la loupe qui exhibe ce que l’œil se refuserait à voir (la violence d’un système, la cruauté des regards). Anne est enceinte. Elle ne veut pas garder cet enfant. Personne ne veut l’aider ; elle doit se débrouiller par elle-même. Gardant d’Annie Ernaux ce refus du mélodrame, Audrey Diwan fait de nous, spectateurs, des observateurs inquiets de ce corps qui change et des menaces qui pèsent. Étrangement, elle compose un film pragmatique, un film d’action, dans l’action, dénué de gras, d’excuses, de larmes, de sermon ou de justification. Et c’est puissant. Anamaria Vartolomei, de tous les plans, est sidérante. Sur son visage, sur son corps, tout est cinéma. Avec elle, Audrey Diwan réussit un mélange rare de cinéma à la fois hyper naturaliste et profondément sensoriel – quasi sensuel, même – et politique. Par le fil ténu de la pulsion de survie de son héroïne, le film emporte tout, au-delà des époques, et devient profondément universel. Histoire d’un avortement, L’ÉVÉNEMENT devient alors le récit d’une colère, le refus de capituler, de céder, le récit d’une émancipation de soi par soi, pour soi. Du cinéma qui frappe fort (âmes sensibles s’abstenir) et transmet de la force. Impressionnant. 

D’Audrey Diwan. Avec Anamaria Vartolomei, Kacey Mottet Klein. France. 1h40. En salles le 24 novembre

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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