THE BEATLES – GET BACK : chronique

25-11-2021 - 09:01 - Par

THE BEATLES – GET BACK : chronique

Cette mini-série concoctée par Peter Jackson, qui exhume des dizaines d’heures d’images et d’audio dormant depuis cinquante ans dans les coffres d’Apple Records, est un trésor. Qu’elle soit sans doute hermétique aux profanes et avant tout destinée aux fans les plus obsessifs des Beatles n’enlève absolument rien à son importance historique.

 

Le 2 janvier 1969, les Beatles se réunissent aux studios de Twickenham afin de composer et répéter ce qui devrait être leur prochain album. Paul McCartney l’a imaginé direct, rock, blues, comme un retour aux sources fulgurant, un pèlerinage vers leurs racines, leurs 18 ans, quand ils jouaient huit heures d’affilée dans les clubs de Hambourg. Secrètement, il espère ressusciter un esprit collectif, écrire à nouveau en symbiose avec John Lennon, alors que le dernier LP du groupe sorti fin 1968, « The White Album », a vu chacun des membres s’affranchir des autres, comme si quatre albums solo avaient fusionné en un. Un raccourci, bien sûr : les bandes déterrées en 2018 par Giles Martin laissent entrevoir un certain travail en groupe, chacun aidant sur les chansons des autres – il suffit de regarder la mini-série McCARTNEY 3, 2, 1, dans laquelle Rick Rubin dissèque l’insensée ligne de basse de McCartney sur « While My Guitar Gently Weeps » de George Harrison pour s’en convaincre. Reste que « The White Album », en termes d’expérience en studio, n’a plus grand-chose à voir avec la cohésion de « Help ! », « Rubber Soul » ou « Revolver ».

Alors ce nouveau disque, McCartney a l’idée de le confectionner devant les caméras du réalisateur Michael Lindsay-Hogg, qui doit en tirer une émission télé, puis de le jouer lors d’un ou deux concerts événements – le groupe a quitté la scène en 1966. Mais rien ne se passe comme prévu. Les tensions montent entre Harrison et McCartney, le premier trouvant le second trop dirigiste ; les quatre ne parviennent pas à s’accorder sur le lieu du concert – voire sur sa tenue, tout simplement – ; l’acoustique de Twickenham est déplorable et Lennon n’arrive jamais à l’heure. Au bout de deux semaines, l’émission télé est abandonnée et l’idée d’un documentaire cinéma privilégiée. Le concert est en ballotage. Le 16 janvier, le groupe quitte Twickenham pour finalement enregistrer dans les sous-sols de leur société Apple à partir du 21. Le concert se tiendra de manière quasiment improvisée sur les toits de l’immeuble, le 30 janvier. Les mois suivants, les Beatles ne valideront jamais le mix de l’album concocté par Glyn Johns, pourtant splendide (il est écoutable dans une réédition parue cet octobre). En mars 1970, alors que les Beatles ont entre-temps déjà publié un autre 33 tours, « Abbey Road », les bandes des sessions « Get Back » sont confiées au producteur Phil Spector qui, comme à son habitude, les pare d’un mur de son, loin des désirs bruts de McCartney. Le résultat, au bout du compte intitulé « Let It Be », atteint les bacs en mai 1970, un mois après l’officialisation de la séparation du groupe – en réalité effective depuis le départ resté secret de Lennon à l’automne 1969. Le même mois sort le film de Lindsay-Hogg, d’une durée de 80 minutes. Jamais édité en DVD, ne circulant aujourd’hui qu’en pirate, il n’en subsistait jusqu’alors que des extraits, notamment dans le coffret documentaire « Anthology ». La légende, entre-temps, aura fait de ces sessions le pic des relations acrimonieuses des Beatles, le premier acte de leur divorce.

Plus de cinquante ans après, ce sont ces 60 heures d’images et 150 heures d’audio que Peter Jackson exhume dans THE BEATLES : GET BACK, épopée de quasi 8h découpée en trois segments de 2h37, 2h53 et 2h18. « Quiconque devait s’atteler à cette tâche devait être un fan, assurait Jackson mi-novembre lors d’une conférence de presse virtuelle. Car il fallait pouvoir comprendre puis déchiffrer toutes les références que les Beatles font durant ces conversations. » Pour regarder et apprécier GET BACK, il est également recommandé d’être un amoureux chevronné des Beatles. Tout d’abord parce que la mini-série, brute à l’exception de quelques cartons explicatifs et dénuée de commentaire, ne délivre aucune clé de compréhension du groupe au-delà de ce que le spectateur peut déjà savoir par lui-même au préalable et ce, même si le premier segment débute par un résumé de sa carrière. Pour le spectateur, il s’agit d’une expérience à la fois immersive mais aussi quasi expérimentale, comme s’il se retrouvait dans la position intimidante de Jackson, à trier dans un matériau à l’importance historique, qu’il est vital de conserver et étudier. Peter Jackson n’est évidemment pas un simple exécutant et sa mise en scène passe par des choix de montage, par des plans maintenus, par des zooms dans l’image – parfois malheureux et que d’aucuns jugeront manipulateurs. « Quand il a vu GET BACK, Paul [McCartney] m’a dit que c’était un portrait fidèle de ce qu’ils étaient, rétorque le cinéaste. J’avais à réduire tout ce matériau et, quand on compresse ainsi, on peut déformer la vérité. J’ai tout fait pour que ce ne soit pas le cas. »

Dans une des premières séquences du deuxième segment, Michael Lindsay-Hogg confie à Ringo Starr : « Si on raconte tout ça honnêtement, on aura un bon documentaire. Mais si on dissimule des choses… » Toute la force de GET BACK réside dans cette vérité nue qu’il délivre avec une désarmante authenticité, dans ces discussions difficiles qu’ont les Beatles (dont une explication à cœur ouvert entre Lennon et McCartney, enregistrée à la cantine à leur insu !), dans ces moments de vérité (notamment sur le vide qu’a laissée la mort de Brian Epstein, leur manager), dans ces longues séquences de pure création, laborieuses ou poétiques, certaines surréalistes comme lorsque, George et Ringo bâillant en attendant que John arrive, Paul gratte sa guitare, improvise et… trouve la mélodie de « Get Back » devant nos yeux. GET BACK retranscrit tout : l’alcool et les clopes, la fatigue et la lassitude, les vannes et les fous rires, l’amour et l’amitié, le chagrin de les voir se dissoudre dans l’individualité, l’arrivée joyeuse de Billy Preston à l’orgue, qui re-cimente le groupe… Séquence après séquence, dans cette prodigieuse centrifuge de storytelling où le temps du spectateur semble s’étirer ou se suspendre, émergent deux figures un peu plus touchantes que les autres : Michael Lindsay-Hogg et Paul McCartney.

Le premier parce qu’il est le double de Jackson, parce qu’ils sont des réalisateurs luttant pour concrétiser leur film. « On a beaucoup de super choses, mais il n’y a pas de storytelling car on n’a pas de fin », dit Lindsay-Hogg aux Beatles pour les convaincre de conclure en beauté avec un concert. Cinquante ans plus tard, plus besoin de dénouement ou de climax en fanfare : l’Histoire a fait son travail et donné du sens, de la dramaturgie et de la gravité à ce que l’on voit – même si la conclusion de la mini-série apparaît un peu faible, presqu’inconséquente, en comparaison des huit heures qui ont précédé. En creux, c’est ainsi presque la victoire de Lindsay-Hogg qui se joue, l’émouvante réhabilitation de son travail. Paul McCartney, lui, apparaît dans toute sa splendeur – jusqu’à l’agacement de ses pairs –, comme une force créatrice increvable et volontaire, humaine et généreuse, qui « craint d’être le boss même si, dans les faits, il l’est depuis deux ans ». Un garçon meurtri qui analyse et reconnaît ses torts. Ses regards tristes, perdus, impuissants devant la dissolution de son rêve d’adolescence, s’impriment, indélébiles, dans les rétines. Résonne alors en nous un des plus beaux couplets qu’il n’ait jamais écrit, tiré de « The Long And Winding Road », comme un parfait résumé de THE BEATLES : GET BACK : « Many times I’ve been alone / And many times I’ve cried / Anyway, you’ll never know / The many ways I’ve tried ».

THE BEATLES : GET BACK , de Peter Jackson
Sur Disney+. Premier épisode dès le 25 novembre, deuxième épisode dès le 26 novembre, troisième épisode dès le 27 novembre

 

 

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