THE GREEN KNIGHT : chronique

28-12-2021 - 18:20 - Par

THE GREEN KNIGHT : chronique

David Lowery investit les mythes arthuriens pour son film le plus ample et, dans la fantasmagorie, pousse ses thèmes fétiches à leur paroxysme. Un grand film, d’un grand cinéaste.

 

Son précédent long-métrage, THE OLD MAN & THE GUN, explorait et célébrait le pouvoir de la fiction – et du cinéma en particulier – à travers le portrait méta de Robert Redford. Quoi de plus logique qu’aujourd’hui, David Lowery revienne à l’une des sources du storytelling moderne, les mythes arthuriens ? À Camelot, le jour de Noël. Un mystérieux chevalier vert (Ralph Ineson), mi-homme mi-arbre, interrompt les festivités de la cour du Roi (Sean Harris) et lance un défi : il laissera celui ou celle qui le veut lui donner un coup avec sa hache. En contrepartie, un an et un jour plus tard, le chevalier vert lui rendra coup pour coup. Gauvain (Dev Patel) se porte volontaire… David Lowery adapte librement un roman en vers de la fin du XIVe siècle, « Sire Gauvain et le Chevalier vert ». L’un des changements les plus signifiants concerne le statut de Gauvain qui, ici, n’est pas chevalier de la table ronde. Lorsque le Roi Arthur lui demande de raconter une de ses histoires pour qu’il apprenne à le connaître, Gauvain répond avec regret : « Je n’en ai aucune ». « Pas encore », rétorque Guenièvre. THE GREEN KNIGHT place ainsi le récit au centre de sa dramaturgie et en fait la voûte d’un apprentissage existentiel : Gauvain, en affrontant son destin, en défiant le Chevalier vert, va autant se construire que potentiellement bâtir sa légende. À la croisée des chemins, il s’engage dans une quête d’un lui-même fantasmé, avec lequel il laisserait une trace dans l’Histoire et imposerait avec bravoure son honneur. Une quête plus grande que lui – que quiconque ! –, que David Lowery figure en embrassant une ampleur narrative et visuelle de chaque plan. Gauvain croise des créatures fantastiques, rencontre la bassesse humaine ou sa bienveillance, aide des fantômes à trouver le repos, confronte l’horreur, la mort et le temps qui passe. Alors la caméra l’écrase et l’isole dans des décors naturels spectaculaires où se déchaînent les éléments et, grâce au capteur large format de l’Alexa 65, le chef opérateur Andrew Droz Palermo sculpte des plans où gigantisme et intimisme cohabitent, tandis que la musique de Daniel Hart assoit une atmosphère allant du romanesque au cauchemardesque. La sidération est totale : la précision des compositions, leur imposante picturalité – jusqu’à l’artificialité, dans tout ce qu’elle peut avoir de merveilleux ou d’horrifique –, leur étrangeté évocatrice pourraient intimider, créer une distance. C’est tout le contraire : THE GREEN KNIGHT envoûte par la roideur de son univers, la longueur de ses plans, la langueur de son récit. Une hypnose pour mieux tromper le spectateur et lui transpercer ensuite le cœur. Car loin d’être cérébrale, cette proposition de cinéma est sensorielle tout d’abord, émotionnelle ensuite. Sorte de film-somme, THE GREEN KNIGHT parcourt tout le cinéma de David Lowery comme Gauvain les terres de Camelot : il explore un territoire (ST NICK), le destin contrarie la romance (LES AMANTS DU TEXAS), le folklore aide à mieux vivre (PETER & ELLIOTT LE DRAGON), on (ré)invente sa vie par la fiction (THE OLD MAN & THE GUN). Mais c’est bien quand il se rattache à A GHOST STORY – jusqu’à en reprendre une séquence d’accélération du temps, tout aussi sublime – que THE GREEN KNIGHT bouleverse. Notre mortalité, ce qu’on laisse ou pas derrière nous, prennent ici la forme d’un duel entre grandeur et bonté, entre courage et peur face à une mort certaine. Le cinéma de Lowery bascule alors (momentanément ?) de l’élégie du temps qui passe à une tristesse plus effrayante, plus tranchée, mais pas moins nourrissante et terrassante. 

De David Lowery. Avec Dev Patel, Alicia Vikander, Joel Edgerton, Sean Harris, Sarita Choudhury, Ralph Ineson… États-Unis. 2h10. Sur Amazon Prime Vidéo le 3 janvier 2022

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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