AFTER YANG : chronique

05-07-2022 - 16:15 - Par

AFTER YANG : chronique

Après le très beau COLUMBUS en 2017, Kogonada, ancien essayiste sur les œuvres des grands maîtres, réalise son deuxième long-métrage. Un film d’anticipation visionnaire, qui crève le cœur.

 

On attendait fébrilement le retour de Kogonada au long-métrage après la formidable découverte COLUMBUS, où dans une ville d’Ohio jalonnée d’œuvres d’architectes deux personnages joués par Haley Lu Richardson et John Cho discutaient fin de vie, destin et lignes de fuite. On y apprivoisait la vision personnelle du réalisateur américain d’origine coréenne, essayiste célèbre du cinéma des autres. La rondeur des sentiments en rupture avec les lignes droites et calculées des décors nous avait brisé le cœur. Kogonada préfère les cadres fournis de motifs imbriqués, les personnages à l’échelle de leur biotope, plutôt que les gros plans émotifs. Il leur offre des écrins complexes, aussi complexes que ce qu’ils ressentent. C’est à ce point qu’il les respecte. Là où certains y voient de la froideur et de la distance d’autres y décèlent une grande spiritualité : c’est son environnement qui rend quelqu’un vivant. Dans COLUMBUS, Jin joué par John Cho déclarait : « On dit que si on n’est pas là à la mort d’un proche, son âme va errer sans but pour devenir un fantôme ». Les vivants sont chez Kogonada responsables de la paix des morts. Cette vision traditionnelle, le metteur en scène l’adapte au film d’anticipation qu’est AFTER YANG et son univers futuriste, post-patriarcal, post-racial, transhumaniste. Ainsi un couple joué par Colin Farrell et Jodie Turner-Smith a adopté une petite fille chinoise et lui a offert un frère robot, lui aussi chinois, Yang. Ensemble, ils sont une famille et très vite, dès un générique affolant de nouveauté et d’audace, qui laisse présager une contemporanéité pop alors qu’elle sera visionnaire, Kogonada impose sa conception ultra moderne de la famille qui transcende le schéma classique. Yang est donc le frère de Mika et quand il tombe en rade, Mika n’a pas les larmes d’une sœur en deuil mais développe un désespoir presque excessif. Son père va tenter de le faire réparer, mais se heurte à une novlangue technologique qu’il ne comprend pas et à l’opacité d’une industrie louche. Il découvre qu’au fond de Yang, repose ce que les complotistes appellent un logiciel espion. L’enquête du personnage de Colin Farrell (bouleversant dans le film) pour remonter sa provenance le mène à percer le sens derrière la technologie, la délicatesse derrière le binaire. C’est ainsi que Kogonada peint un idéal d’avenir, où l’humain aurait à apprendre émotionnellement de la biotechnologie. Quand un clone demande au personnage de Colin Farrell « pourquoi voudrions-nous tous être humains ? », tout fait sens. Le monde de demain, imaginé par Kogonada, se décentre enfin, l’humain n’est plus essentiel à la vie, pas plus que la culture occidentale ne doit dominer. Kogonada fait d’AFTER YANG un BLADE RUNNER minimaliste, un film noir où le héros remonte la carte du cœur de mystère en mystère. Où, aussi, comme le chef-d’œuvre de Ridley Scott, le futur vit sous influence asiatique, de l’informatique à la mode, en passant par la gastronomie. Ce n’est pas un fétiche, pas plus que de la réappropriation culturelle, c’est la marche du monde, du progrès. Mais cette vision post-raciale, Kogonada va la détricoter, méticuleusement, jamais dans le but d’opposer les cultures mais plutôt de les faire pleinement co-exister. Artiste politique, il parle de demain pour mieux parler d’aujourd’hui. Dans une Amérique en proie au racisme anti-asiatique, le réalisateur questionne cet « humanisme » qui devrait, selon certains penseurs, prévaloir sur les identités. Il lui oppose le besoin de racines, la connaissance de soi, l’épanouissement et l’apaisement par l’origine. L’homme blanc peut apprendre à faire son deuil et, morale déchirante du film, voir enfin la beauté, la rareté et l’importance de ce qu’il possède à travers les yeux d’un autre, qui ne lui ressemble pas. De sa vision de nous à la bienveillance avec laquelle il l’exprime, AFTER YANG s’impose comme du cinéma d’avant-garde. 

De Kogonada. Avec Colin Farrell, Jodie Turner-Smith, Haley Lu Richardson. États-Unis. 1h45. En salles le 6 juillet

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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