TIGERTAIL : chronique

10-04-2020 - 09:07 - Par

TIGERTAIL : chronique

Pour son premier long-métrage, le scénariste de MASTER OF NON et FOREVER quitte la comédie et plonge dans les méandres d’une vie. Quelque part entre Proust et Wong Kar-wai, une merveille de délicatesse.

 

D’Alan Yang, on connaissait la précision et la justesse de l’écriture. Orfèvre de l’intime, auteur de grandes séries modernes et délicates, le jeune scénariste saisit comme personne l’époque et ses fluctuations amoureuses. Pourtant, avec son premier long-métrage, il se dépouille en apparence de ses facilités. Là où on aurait pu attendre de lui une petite romcom urbaine indé bien troussée, Alan Yang prend un virage sérieux, plus intime encore que tout ce qu’il a bien pu écrire avant. Récit d’une vie, TIGERTAIL zigzague dans les souvenirs de Pin-Jui, de son enfance ouvrière à Taïwan à sa solitude de père divorcé dans l’Amérique d’aujourd’hui. Une odyssée intime que Yang saisit par bribes, en mélangeant les temporalités, comme des souvenirs qui s’entremêleraient entre hier et aujourd’hui. À travers ce personnage, inspiré de son père, le réalisateur-scénariste raconte l’émigration de toute une génération d’Asie vers les États-Unis en quête d’un idéal. Il raconte le déracinement, les compromissions, les illusions, les joies, les défaites avec une douceur quasi poétique. TIGERTAIL étouffe ainsi les drames, éloigne les cris, les larmes pour ne garder que la stature de beaux personnages résilients, pas bien sûrs eux-mêmes de savoir comment tenir. Autour de cette figure masculine gravitent ainsi une galerie de personnages féminins, mère, amoureuse, épouse, fille qui, chacune à leur manière, se retrouveront blessées par les choix et les silences de cet homme. Petit à petit, Alan Yang déplie les mystères, ausculte les blessures et panse les douleurs et nous amène à saisir la complexité d’une vie. Délicatement écrit, le film s’appuie également sur la beauté folle de son esthétique composite. Au fil des périodes et des souvenirs, on croise des réminiscences du cinéma d’Edward Yang, de Wong Kar-Wai et de Hou Hsiao Hsien. Comme si les souvenirs de cet homme étaient aussi des fantasmes de cinéma. C’est toute la beauté d’un film qui saisit d’un même mouvement la vie que l’on se raconte et la vie que l’on vit. Une façon de pardonner les erreurs, de raconter les regrets sans jamais tomber dans l’amertume ou le jugement. Le film est à la fois dans l’élan du passé et les regrets du présent : le chemin de Pin-Jui aboutit à une émotion pudique, un simple regard, un geste qui cède les armes et dit tout du besoin de se raconter. Si l’on accepte de se perdre un peu, si l’on donne à Alan Yang le temps de nous prendre par la main et guider notre regard, on trouve dans ce TIGERTAIL, en apparence mineur, la beauté simple et essentielle des films de chevet. Magnifique.

D’Alan Yang. Avec Tzi Ma, Christine Ko, Hong-Chi Lee. États-Unis. 1h31. Le 10 avril sur Netflix

4Etoiles

 

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.