LES NUITS DE MASHHAD : chronique

12-07-2022 - 10:36 - Par

LES NUITS DE MASHHAD : chronique

Ali Abbasi retourne sur ses terres natales pour détricoter la sinistre carrière d’un tueur en série, qui en dit autant sur le fanatisme de l’acte que l’état moral de la société dans laquelle – et même pour laquelle – il agit.

 

Saeed (le monstre Mehdi Bajestani) compte nettoyer la ville sainte de Mashhad. Son mode opératoire est bien huilé. Au cœur de la nuit, il sollicite une prostituée, la ramène chez lui à moto, l’étrangle avec son foulard, l’emballe dans du tissu ou dans un grand tapis, embarque son cadavre en selle et le dépose là où il en a déposé d’autres. Nous sommes en 2001 et il en a déjà tué une bonne dizaine quand le film démarre et scrute le crime en gros plan. Le visage agonisant, les yeux révulsés, les dents noircies par la drogue, les suffocations, le rouge à lèvres étalé par la sueur et les cris : rien ne nous est épargné. Ce prégénérique glace le sang mais éblouit par la maîtrise parfaite de l’équilibre entre un réalisme tout iranien et une esthétisation qui nous plonge dans le pur film noir. Par la cruauté, l’utilisation de la ville comme le terrain d’un jeu mortel, on n’est alors pas si loin du THE CHASER de Na Hong-jin. Ici, le goût du glauque peut donner toutefois l’impression de jouir de la souffrance. Dix minutes et on est déjà prisonniers de la toile du tueur araignée. Débarque alors une journaliste de Téhéran (Zar Amir Ebrahimi). Avec elle, c’est tout le commentaire social qui s’éclaire. Dans cette ville, cette femme en avance sur son temps s’étonne d’une enquête qui patine. Sa maîtrise du processus policier fait d’elle une héroïne postmoderne – comme si elle avait déjà vu tous les Fincher et lu tous les scandi-noirs qui sortiraient dans les années à venir. Comme si tenter de dénicher un serial killer sanguinaire ne suffisait pas à la tenir éveillée la nuit, les flics, les juges, les commerçants lui renvoient une image de fille à scandale, elle, la célibataire en Converse. Alors qu’elle plonge dans le monde interlope des nuits de Mashhad, Saeed tue et tue encore. Au fil des crimes, sa guerre sainte craquelle et dévoile une perversion bien réelle. Ali Abbasi dépeint une société iranienne qui laisse proliférer la prostitution et la drogue mais les condamne fermement. Par un cinéma de genre radical et subversif, plein d’images inédites et « interdites » dans la représentation de la vie en Iran – des relations sexuelles explicites, des tueries très graphiques –, LES NUITS DE MASHHAD raconte le sort qu’on réserve aux femmes – et pas que les prostituées. Dans cette société dirigée par les hommes, elles sont acculées par la pauvreté ; les plus progressistes sont instantanément jugées. À distance, une femme brillante chasse un homme médiocre et quand ils vont se trouver sur le chemin l’un de l’autre, c’est toute une déréliction collective sociale que le film expose au grand jour. LES NUITS DE MASHHAD balaie tout soupçon de complaisance envers la violence par un plan final qui rachète toutes les morts en gros plan. Puis dans un épilogue à faire froid dans le dos, Ali Abbasi enclenche un cercle de la violence inarrêtable comme si la justice n’allait jamais assez vite contre les violences faites aux femmes. Plus aucun doute : le film s’adresse à toutes les sociétés malades de la haine contre les femmes. 

D’Ali Abbasi. Avec Zar Amir Ebrahimi, Mehdi Bajestani, Arash Ashtiani. Danemark. 1h56. En salles le 13 juillet

4Etoiles

 

 

 

 

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