MISSION : IMPOSSIBLE – DEAD RECKONING, PARTIE 1 : chronique

05-07-2023 - 18:01 - Par

MISSION : IMPOSSIBLE - DEAD RECKONING, PARTIE 1 : chronique

Avec ce super-spectacle au savoir-faire imparable et au méta texte passionnant, la franchise MISSION : IMPOSSIBLE rappelle pourquoi elle survole la concurrence depuis près de trente ans.

 

« Rendez-vous au cinoche ! », avait lancé Tom Cruise en 2022 lors d’une vidéo à l’adresse des exploitants américains, assénant clairement son message : le cinéma à l’ancienne, qu’on vit sur grand écran, n’est pas mort et n’a pas plié devant les algorithmes des plateformes. Cette promesse de l’acteur, DEAD RECKONING en fait son sujet, et ce, dès ses premières secondes. Un sous-marin russe. Un autre sous-marin. Une bataille navale. Des torpilles. Tout un cinéma des années 80 et 90, hanté par la Guerre Froide, celui qui en 1996 a donné vie à MISSION : IMPOSSIBLE, se voit subitement convoqué. Pendant près de trois heures égrenées à un rythme ahurissant où tout est spectacle – des cascades de Cruise aux séquences dialoguées, des bastons aux punchlines –, DEAD RECKONING ne va avoir de cesse d’opérer une friction passionnante entre le neuf et l’ancien, le numérique et l’analogique, le passé et le présent. Avec en ligne de mire le futur : celui de Hunt, du monde. Et même du cinéma, tiens.

« Dead reckoning » signifie « navigation à l’estime », méthode consistant à déterminer une position en fonction de la dernière connue. Sur ce mode, le film déjoue rapidement la gravité papale de FALLOUT pour préférer l’énorme divertissement d’antan, du genre dont le monde a besoin après trois ans de pandémie. DEAD RECKONING conserve toutefois sa contemporanéité grâce à un humour ravageur aux élans post-modernes : ici, on brocarde l’existence d’IMF ou ses méthodes tandis qu’une incongruité comique pirate les prouesses de Hunt au point que le ton, par instants cartoonesque, n’est pas sans rappeler NIGHT & DAY. Le film commente avec malice la licence, son attrait et ses codes, créant avec son public une complicité touchante et furieusement efficace. Avec élégance, DEAD RECKONING évite néanmoins toute goguenardise : ce méta texte dissimule une véritable dramaturgie. « Nul n’échappe à son passé. Certains sont même condamnés à le revivre », dit-on ici, et le réalisateur Chris McQuarrie de continuer son exploration du cœur de Hunt, de ses choix et de leurs conséquences, le héros comme enfermé dans une boucle sans fin, condamné à combattre les mêmes menaces, faire les mêmes erreurs et subir les mêmes deuils. On retrouve de vieilles connaissances (Kittridge !), Venise a des airs de Prague, les gros plans visage décadrés chers à De Palma sont légion et DEAD RECKONING, comme ROGUE NATION et FALLOUT avant lui, de remixer des figures passées de la saga – une tempête de sable, un train dans un tunnel, une poursuite auto dans une capitale européenne…

Pourtant, ce refaisage n’a rien d’un stigmate nostalgique. L’intelligence de DEAD RECKONING consiste justement à rebondir constamment sur ce passé – la fameuse navigation à l’estime. Ainsi, une poursuite à pied dans Venise rejoue celle de FALLOUT dans Londres, jusqu’à ce que la voix de Benji, qui guide Hunt, soit subitement piratée par… une intelligence artificielle. Il est là, l’ennemi de DEAD RECKONING : un virus, devenu conscient, que chaque gouvernement essaie de récupérer pour maîtriser et façonner enfin toute (post)vérité. Cette scène dit tout sur les dangers de la désinformation et de l’intelligence artificielle – jusque dans les sphères artistiques, la prise de pouvoir de l’IA sur Benji figurant sa main mise sur le récit et, ainsi, de manière méta, sur le cinéma.

Toute la richesse de DEAD RECKONING est là, dans cette multitude de couches, qui l’érige en film de faux-semblants – le premier plan ne fait-il pas croire à des nuages quand il s’agit d’une couche de glace ? –, presqu’un tour de magie – les personnages manipulent des objets comme des prestidigitateurs. Énorme spectacle ? Oui, mais concentré sur l’intime et les personnages. Post-moderne et rigolard ? Oui, mais hanté par le sérieux et la mort, toute la séquence à Venise comme axe tragique du récit. Pur divertissement ? Aussi, mais furieusement politique, rongé par des peurs très actuelles – notamment l’érosion du libre-arbitre et de l’individualité face aux nouvelles technologies. Des blockbusters qui maintiennent un tel niveau d’exigence, d’élégance et de savoir-faire ont toujours été rares. De nos jours, ce sont des licornes – avec souvent Tom Cruise au générique.

De Christopher McQuarrie. Avec Tom Cruise, Hayley Atwell, Rebecca Ferguson, Simon Pegg, Ving Rhames, Pom Klementieff… États-Unis. 2h43. En salles le 12 juillet

 

 

 

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