BARBIE : chronique

22-07-2023 - 09:43 - Par

BARBIE : chronique

Agacés par une promotion bulldozer, on avait presque commencé à prendre Barbie en grippe. Note pour plus tard : ne plus jamais douter de Greta Gerwig. Drôle, généreux, mais surtout joyeusement intelligent et émouvant, BARBIE impressionne.

 

Il y avait donc bien un film derrière BARBIE. À force de mois et de mois de marketing rose bonbon sans fond, on commençait à avoir un doute. Et pourtant. Il suffit de quelques minutes au film pour faire oublier tout ça. Car au fond, si BARBIE est bel et bien un film dérivé d’un produit, c’est surtout et avant tout le film d’une cinéaste. Un film surprenant, jamais tout à fait dans les clous, à la fois sentimental et méchant, totalement artificiel et profond. Une sorte de blockbuster outrancier, presque camp, dont on se demande à chaque instant comment, dans une industrie aussi formatée, il a pu voir le jour. Ça tombe bien – et c’est toute l’intelligence de Greta Gerwig à l’écriture : c’est le sujet, en apparence, du film. Être dans la norme, se formater, vouloir ressembler aux autres, voilà le quotidien de Barbie et de ses amies (ce casting !) qui, depuis des décennies, vivent dans un monde parfait. « Life in Plastic, it’s fantastic » reprenait-t-on en chœur dans les années 1990. Gerwig filme cet univers avec ironie tout en assurant le spectacle (une scène de danse irrésistible). Puis elle réussit en quelques séquence à faire admettre ce monde abstrait en faisant du cinéma un jeu d’enfant. Un « on ferait comme si », « on dirait que » filmé au pied de la lettre, qui affirme les allures de plateau de cinéma de ce BarbieLand. Evidemment, très vite quelque chose déconne. Alors Barbie (qui osera dire après ce film que Margot Robbie n’est pas l’une des actrices les plus passionnantes du moment ?), hantée de pensées morbides, et son Ken attitré collant (grand numéro burlesque de Ryan Gosling) filent vers le monde réel pour essayer de retrouver l’enfant qui les anime. Sympathique et joyeux, le film semble sur des rails. Il va en réalité sortir très vite de la piste. En confrontant son héroïne idéaliste et idéalisée à notre époque, Gerwig tire un constat politique cinglant. Découvrant le patriarcat dans des scènes hilarantes, Barbie dégringole. Tandis que Ken, lui, jubile. La satire est mordante, efficace, et aura de quoi faire hurler les mascu du monde entier. Dans de grands numéros au bord de l’idiotie géniale, Ryan Gosling et sa bande de Ken s’en donnent à cœur joie, chantent, dansent et prennent la pose. Malins, les dialogues faussement naïfs de ce monde en plastique tapent juste et singent la misogynie décomplexée de notre monde.

Mais, et c’est la grande force et beauté de BARBIE, cette diatribe contre le patriarcat n’est que la partie émergée d’un iceberg émotionnel bien plus profond. Derrière la comédie politique et fantaisiste (rien que ces deux mots-là, ensemble, prouvent à quel point le film va là où peu vont) se révèle une interrogation beaucoup plus intime. Comment être ? Comment tenir debout alors que tout change ? À quoi sert-on si rien ne dure ? Délicatement, et d’une manière bouleversante, BARBIE – qui s’ouvrait sur un pastiche de 2001 – devient bel et bien métaphysique. Créature et créatrice se rencontrent et ouvrent des abîmes de mélancolie. Car l’odyssée de cette Barbie est intérieure. C’est la possibilité du changement qui naît en elle et la peur qui va avec. Petit à petit, l’héroïne fait le deuil de la stabilité, accepte le doute, le trouble, les larmes et les rires qui se mélangent, ne pas savoir, essayer. Magnifiquement, BARBIE finit par délaisser son rose bonbon et ses sarcasmes pour n’être plus qu’une page blanche qui, pour son héroïne, reste à écrire. On a alors soudainement le sentiment que le film est pleinement ce qu’il raconte. Que Greta Gerwig prend avec sa caméra le risque qu’elle suggère à son héroïne. Comme si Barbie Gerwig faisait elle aussi sa révolution intérieure devant nous. Ressentir. Être totalement soi. Au risque du ridicule. Au risque de déplaire. Ne plus se contenter d’être charmante et joliment indé mais faire péter avec ce film le plafond de verre Hollywoodien. Et voir ce qu’il y a derrière. Si à travers LADYBIRD Greta Gerwig filmait l’adolescence comme une façon de naître au monde, si ses QUATRES FILLES DU DR MARCH était un apprentissage douloureux de la vie d’adulte, son BARBIE est de manière inattendue et émouvante une ode au temps qui passe, au vieillissement, au fait d’être quelque chose puis une autre, puis encore une autre. C’est peut-être d’ailleurs ça que la Warner a tenté de camoufler sous le vernis girly de sa promotion. Plus qu’un summer movie déconnant, plus qu’une diatribe amusante sur le patriarcat, BARBIE est un film aux émotions complexes, à la fois une chose et une autre, pas tout à fait sûr de lui mais qui fait semblant de l’être, tour à tour drôle, triste, frondeur, inquiet… Un film humain, tout simplement.

De Greta Gerwig. Avec Margot Robbie, America Ferrara, Ryan Gosling… États-Unis. 1h55. En salles le 19 juillet

Note : 5

 

 

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