LE COMTE : chronique

06-09-2023 - 17:04 - Par

LE COMTE : chronique

Une comédie noire sur Augusto Pinochet, réinventé par le réalisateur chilien de JACKIE et SPENCER en vampire déprimé.

 

JACKIE, SPENCER ou EMA, des portraits de femmes à prendre au sérieux, l’avaient fait oublier, mais Pablo Larraín, leur réalisateur, a le sens de l’humour. Pas la grosse gaudriole non plus, mais TONY MANERO, SANTIAGO 73 ou NERUDA démontraient un certain humour à froid, un esprit sarcastique, une ironie grinçante chez le cinéaste chilien, provenant probablement d’un endroit de colère, de conscience politique aiguë. Du comique intelligent et cérébral, mais dès lors que sa mise en scène se fait minimaliste, l’effet visuel, cocasse, peut être lui aussi maximal. On en convient, c’est ténu, mais il n’est pas foncièrement surprenant de le voir aujourd’hui aux commandes d’une comédie noire. Il s’agit pour lui de désamorcer la gravité du sujet qu’il aborde, cette fois frontalement : Pinochet. Après avoir décrit le Chili sous sa gouvernance, raconté l’impact que cette dictature pouvait avoir sur les Chiliens, leur moralité et leur santé mentale, le cinéaste va lui demander des comptes, là où son propre pays a échoué – Pinochet n’a jamais été jugé pour ses crimes de sang ni pour s’être enrichi malhonnêtement pendant son règne, cette faute politique, démocratique et judiciaire ayant fait de lui une créature immortelle qui plane encore sur la vie chilienne. Pinoche, né en France avant la Révolution Française et orphelin, est un vampire. Horrifié du sort qu’on a réservé au Roi et à Marie-Antoinette, il a combattu toutes les révolutions et a voulu être roi à son tour. Direction le seul pays où il pourrait asseoir son pouvoir : le Chili, qu’il a dévoré, assoiffé de ce sang qui le rend immortel. À 250 ans, Pinoche, désormais Pinochet, dégoûté de l’ingratitude de son peuple, veut finalement mourir pour de vrai. Pour ça, il cesse de s’alimenter. Ses cinq enfants savent qu’il y a un pactole à la clé, accumulé illégalement pendant des années à la tête d’un pays exsangue. Pourtant leur père ne cesse de se rendre en ville dévorer des cœurs, la nuit. Pour dénouer le mystère de ces incartades sanguinaires et espérer encaisser in fine le juteux héritage, ils requièrent les services de l’Église qui leur envoie une nonne intraitable… dont Pinochet devient croque-love. La situation prête à elle seule à rire ; Larraín ne cache jamais ses intentions : peu sujet à interprétation, l’image de Pinochet en vampire, entouré de sangsues – dont sa femme et son majordome – provoque l’effroi. Dans un somptueux noir et blanc, renvoyant à un cinéma qui osait les personnages ambigus ou détestables, la méchanceté, l’austérité – on pense à Kubrick, Dryer, Bergman mais aussi Murnau – à rebours d’un cinéma d’aujourd’hui asservi à la sacrosainte « identification du spectateur », LE COMTE déroule son petit conte macabre, alignant les vacheries et les situations ubuesques. Le film raconte surtout la veulerie des politiques, la réalité hors-sol de la bourgeoisie désargentée, le toupet de ceux qui s’en sortent toujours. Comme dans EL CLUB, où l’Église sacrifiait tous ses principes pourvu qu’elle sauve la face, ici l’ultralibéralisme protège les siens pour tenter de survivre. C’est toute l’immoralité de l’histoire, racontée en off par une voix britannique rappelant que l’impérialisme et le capitalisme sont les éternels narrateurs de la marche du monde.

De Pablo Larraín. Avec Jaime Vadell, Gloria Münchmeyer, Alfredo Castro. Chili. 1h50. Sur Netflix le 15 septembre

Note : 5

 

 

 

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