DAAAAAALI ! : chronique

07-09-2023 - 22:26 - Par

DAAAAAALI ! : chronique

Quentin Dupieux réunit cinq Salvador Dali pour un non-biopic, comme un grand-huit qui retourne la tête avec style. Drôle, bizarre et totalement génial.

 

On imagine très bien ce que ces deux-là auraient à se dire. D’un côté, Salvador Dali, artiste clown, touche-à-tout punk dont l’art complexe est souvent réduit à ses gimmicks promo. De l’autre Quentin Dupieux, réalisateur iconoclaste, pirate du cinéma français, dont les films drôles et mélancoliques sont trop vite catalogués « joyeux n’importe quoi ». Mais la rencontre n’aura pas lieu. Enfin si, mais pas comme imaginé. Ceci dit, qui croyait vraiment que Quentin Dupieux allait faire un vrai biopic de Dali ? Refusant l’ennui des formats, les convenances des récits balisés, il aborde toujours son cinéma comme une forme à conquérir, un espace à inventer. Ici donc, le biopic se retourne sur lui-même, s’échappe, se barre très loin, se joue de nous, de nos attentes, de l’esprit de sérieux. Un film en forme de palais des miroirs où, parti à la recherche de Dali, on finit par se prendre en retour notre propre reflet déformé. Et ce, dès le premier plan : Un piano, posé sur un coucher de soleil, qui fuit. La reproduction de « Fontaine Nécrophilique », un tableau de Dali. Mais pas tout à fait car ici le tableau est légèrement en mouvement, et l’on entend l’eau couler. Un léger décalage, déroutant, presque déjà inquiétant qui ouvre la porte à un film où chaque plan demande l’attention du spectateur. Là où YANNICK – écrit pendant la préparation du tournage de DAAAAAALI !, comme un jeu de vase communicant – était rempli de mot, DAAAAAALI ! est rempli d’images. Dupieux invente un film qui n’a rien à dire, littéralement, mais où chaque coupe, chaque cadrage, chaque élément de décor titille l’œil, l’excite, le surprend, le déplace. L’effet est insensé. Ainsi, refusant toute identification, Dupieux confie son Dali à cinq interprètes qui enfilent le personnage comme un déguisement et s’échangent leur place au fil des coupes. Dans une même séquence, les corps changent, les voix s’altèrent, Edouard Baer devient Jonathan Cohen qui soudain est Pio Marmaï pour finir en Gilles Lellouche. À moins que ce ne soit Didier Flamand, vieux Dali morbide, qui rêve de tout cela. Le film fourmille sur ce modèle d’idées de pur cinéma, d’effets à la fois drôles et inquiétants (un couloir infini, une scène à l’envers, des rêves dans le rêve, des films dans le film, des tableaux fous qui se révèlent hyper réalistes…) qui nous obligent à un étrange lâcher-prise narratif et à une hyper attention à l’image. Exigeant oui, mais aussi généreux et inventif. Récit d’une non-rencontre, portrait d’un non-film (Anaïs Demoustier, journaliste inquiète qui désespère de faire parler le maître, dont les grands yeux impassibles vont toujours très bien au cinéma de Dupieux) DAAAAAALI ! réussit l’impossible : inventer un langage de cinéma qui provoquerait en nous le même effet que l’art distordu de Dali. Du cinéma comme un vertige, jamais loin de l’ivresse et de la tristesse. Non pas un biopic d’artiste mais de son spectateur. Dali nulle part, Dali partout.

De Quentin Dupieux. Avec Anaïs Demoustier, Edouard Baer, Jonathan Cohen… France. 1h17. Prochainement en salles

 

 

 

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