THE KILLER : chronique

09-11-2023 - 11:11 - Par

THE KILLER : chronique

Les meilleurs films de David Fincher ne sont pas toujours ceux que l’on croit : la preuve avec THE KILLER, petit film d’exploitation en apparence qui cache une bombe à fragmentation aux échos indélébiles.

 

Peut-être y a-t-il un décalage, comme un malaise, entre la précision du cinéma de David Fincher, ce que l’on sait de sa rigueur maladive et comment le réalisateur vit cette méthodologie. THE KILLER permet sans doute d’en savoir un peu plus sur les contradictions de ce cinéaste essentiel qui, depuis trente ans, a alterné grands gestes de cinéma et films en apparence plus mineurs. En apparence seulement, à l’instar de THE KILLER, où le protagoniste, tueur à gages tendance psychopathe de la perfection, se répète inlassablement, en voix-off, tel un mantra : « Colle au plan. Interdis-toi l’empathie. Anticipe, n’improvise pas. C’est ce qu’il faut pour réussir ». Pourtant, il assène également : « le besoin de se sentir en sécurité est une pente glissante ». De là à imaginer David Fincher en pleine remise en question, il n’y a qu’un pas, comme si la mission que son assassin foire en début de film se faisait symbole de ses propres insécurités, échecs et frustrations – après tout, le très obsessif MANK n’étouffait-il pas dans sa perfection ? Cette dimension méta, consciente ou inconsciente, insuffle quelque chose de profondément ludique à THE KILLER, jeu de piste à l’attention des exégètes et des admirateurs du cinéaste. Cette routine du meurtre qu’embrasse le Tueur n’en dit-elle pas énormément sur l’acte créatif et le cinéma en particulier, engoncé dans sa technique, ses principes narratifs et visuels, ses procédures lentes et répétitives ? « Si on ne tolère pas l’ennui, ce travail n’est pas fait pour vous », assure le Tueur, comme si Fincher lui-même, hilare, nous assurait que son thriller n’allait rien avoir affaire avec un grand divertissement du samedi soir. Spoiler : il ne l’est pas. Ou peut-être que si, mais loin des standards. THE KILLER a beau débuter sur un générique digne d’un procedural télé, avec ses gros plans agressifs et ses titres tranchants, il oscille ensuite entre la rage sarcastique et la contemplation mélancolique. Tout en allant là où le genre doit le mener – le Tueur se foire, ses employeurs se retournent contre lui, il veut se venger –, il refuse systématiquement de tomber dans l’intrigue reine et l’efficacité. THE KILLER multiplie les moments de bravoure dont seul Fincher semble capable (une fuite à moto aux plans splendides, une baston à contre-jour toujours lisible) mais il prend aussi de joyeux chemins de traverse. Construit entièrement sur le storytelling par le cadre (ce qu’il inclut, ce qu’il exclut, l’objectivité, la subjectivité, la musique diégétique ou extradiégétique) et sur une voix-off chuchotant, aigrie, à l’oreille du spectateur, THE KILLER pourrait tout aussi bien être muet. Il a beau filer de ville en ville, d’un geste vengeur à un autre, il ne se raconte jamais dans l’effusion ni la vitesse, mais dans un faux rythme, un avant-violence faussement calme et un après-violence qui s’efface instantanément. Constamment en suspens donc, toujours prêt à l’explosion sans jamais qu’elle ne survienne, THE KILLER bouillonne. Au point d’en devenir hilarant. Entre un cadre attentiste pince-sans-rire et une vanne drôlement agressive, David Fincher, plus intéressé par la violence de la lutte des classes que par celle de son Tueur et de ses ennemis, s’épanche dans une critique acerbe, rageuse, et drôle, donc, de l’époque et de son néolibéralisme, lointain écho de THE SOCIAL NETWORK et FIGHT CLUB. Son protagoniste a décidé de se révolter contre son système. Mais jusqu’où va la rébellion et où commencent l’illusion un peu naïve et pire, le cynisme ? C’est cette fine ligne, que Fincher regarde droit dans les yeux, le sourire sardonique au coin des lèvres, qui donne à THE KILLER toute sa puissance comique, engagée et, in fine, mélancolique voire désespérée. Un faux film mineur. Ou un grand petit film, c’est selon.

De David Fincher. Avec Michael Fassbender, Tilda Swinton, Charles Parnell, Arliss Howard. États-Unis. 1h59. Sur Netflix le 10 novembre

Note : 5

 

 

 

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