MAY DECEMBER : chronique

23-01-2024 - 17:44 - Par

MAY DECEMBER : chronique

Délicieusement vachard, drôle et tragique : MAY DECEMBER mixe les tons pour un très grand plaisir de cinéma.

 

Julianne Moore ouvre son frigo. La caméra zoome subitement. Les notes sentencieuses de la partition du MESSAGER signée Michel Legrand, réorchestrées par Marcelo Zarvos, déjà entendues sur le générique d’introduction, annoncent un drame. « On n’a pas assez de hot-dogs », lance la comédienne, suscitant une hilarité franche et inattendue. Rien ne saurait mieux résumer MAY DECEMBER, les multiples surprenants détours qu’il emprunte, l’intense plaisir de cinéma qu’il engendre, que ce court moment. Situé dans la quasi mythologique Savannah, étrange cité moite à mi-chemin entre le musée à ciel ouvert et le parc d’attraction irréel, MAY DECEMBER organise la collision entre une actrice trentenaire, Elizabeth (Natalie Portman), et une femme au bord de la soixantaine, Gracie (Julianne Moore) qui, voilà 25 ans, a été emprisonnée pour avoir entretenu une relation avec un adolescent de 13 ans, Joe, désormais son mari (Charles Melton). Pour se préparer à l’incarner à l’écran, Elizabeth suit Gracie dans son quotidien et, dans le processus, interroge tout son entourage – faisant d’elle un personnage d’enquêtrice en quête d’une vérité, comme en a déjà filmé Todd Haynes dans VELVET GOLDMINE et DARK WATERS. Une véritable jouissance émerge de ce pitch, la jouissance d’un cinéma de personnages et d’interprètes qui ne s’embarrasse d’aucune bienséance, d’aucune règle, mais embrasse le spectacle total pour raconter les émotions complexes de ses protagonistes – des plus drôles aux plus tragiques, des plus universelles aux plus tordues. Puisque l’histoire de Gracie rappelle d’autres affaires, réelles, comme celle de Mary Kay Letourneau, qui suscitent l’intérêt charognard des tabloïds et des téléfilms, émerge par moments quelque chose de cette forme dans un léger halo hamiltonien, comme un contre-point à la rigueur générale de l’entreprise – longs plans sans coupe, caméra immobile – que Haynes relie au cinéma européen d’avant-garde, Bergman et PERSONA en tête. Là, MAY DECEMBER établit une connivence immédiate avec son spectateur, non pas pour se moquer de ses personnages, mais pour les affranchir de toutes les conventions, sociales ou cinématographiques, leur laisser la liberté d’affirmer leur identité profonde, d’être tout ce qu’ils veulent être, veules ou tristes, manipulateurs ou bitchy. Dialogues vachards mémorables, tension sexuelle constante dont on ne se libère que par le rire : Haynes n’est jamais allé aussi loin dans la comédie, comme un cousin, parfois, du mordant de John Waters dans la peinture de la communauté qu’il filme. Il commente autant les normes sociales (son grand sujet de prédilection), que son propre cinéma – en une sorte de précipité outrancier de SAFE, LOIN DU PARADIS ou CAROL –, son amour des anticonformistes que des actrices. Absolument prêtes à tout pour le suivre, Natalie Portman et Julianne Moore livrent des prestations-monstres qui se repaissent de leur propre excès – les regards exagérément pensifs ou séducteurs de l’une, les larmes gueulardes de l’autre. Un sommet de soap opera camp dans lequel se débat Joe, mari aimant mais perdu, superbement incarné par Charles Melton (RIVERDALE), touchant îlot de tendresse qui interroge avec grâce les questions de consentement. MAY DECEMBER a la grande élégance d’inviter le spectateur à naviguer à sa guise dans cet océan d’intentions, de tonalités et de thématiques, ne lui impose jamais rien de définitif, le laisse chercher et trouver son propre rapport au sujet et aux personnages. Ce qui pourrait tourner à la farce un peu vaine aboutit à une grande expérience de Todd Haynes sur la forme – de la comédie, du mélodrame et de son propre cinéma.

De Todd Haynes. Avec Natalie Portman, Julianne Moore, Charles Melton. États-Unis. 1h50. En salles le 24 janvier

Note : 5

 

 
 

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