MALCOLM & MARIE : chronique

03-02-2021 - 15:07 - Par

MALCOLM & MARIE : chronique

Une nuit, un couple, le cinéma et une dispute pour tout mettre à plat. Radical et pourtant charmeur, MALCOLM & MARIE noue le chic du cinéma moderne au choc de notre époque. Aussi brillant et retors que beau à tomber. Inoubliable.

 

MALCOLM & MARIE ne plaira pas à tout le monde. Et c’est, aussi et peut-être, pour ça qu’il faut l’aimer autant. Tourné en secret pendant le confinement, le film semble constamment jouer avec nous, nous aguicher, nous provoquer, nous repousser, s’éloigner pour mieux revenir, s’épancher pour soudain se refermer. Taillé dans un noir & blanc très contrasté, le film se joue de son esthétique chic, de ses deux acteurs sublimes et sublimés qui semblent parfois prendre la pose. Tous deux stars du moment, la géniale Zendaya et l’imposant John David Washington s’offrent à la caméra de Levinson comme des monstres sacrés, des figures quasi iconiques jouant à ce duo épuisé et épuisant. Comme toujours, Levinson construit une esthétique singulière, où l’hyper-stylisation touche à la sincérité la plus totale. Dès les premiers plans, le film impose son ton. Un couple rentre harassé d’une soirée qu’on imagine mondaine. Ils sont beaux, élégants et pourtant Levinson fait surgir au détour d’un plan subreptice, le trivial, le banal, le quotidien. Levinson n’a pas peur de ses effets, de les montrer, de jouer des ruptures, d’étirer les dispositifs (impressionnante scène de logorrhée filmée à distance). Son cinéma ne s’embarrasse pas du « faire vrai » ; ce qui compte c’est la sensation, la question, le trouble, le dialogue qui va s’installer entre nous et ces personnages. Furieux, traversé d’éclats tragiques et cruels, MALCOLM & MARIE exerce une étrange fascination. Comme ont dû le ressentir en 1963 les spectateurs contemporains du MÉPRIS de Godard, il y a dans la désintégration de ce couple, dans ce cinéma sophistiqué et brut comme un état des lieux du monde, de l’amour et du cinéma. Rien que ça. À travers cet affrontement brillant qui déplace constamment le point de vue, Levinson se demande si faire des films et aimer l’autre, c’est la même chose et si et surtout, c’est bien moral tout ça. Et il a l’élégance de ne pas avoir de réponse. Malcolm et Marie se font la guerre comme l’époque débat et discute de tout. Les mots ouvrent des failles, blessent, avilissent même parfois et pourtant, quelque chose résiste. Dans les traces du Bergman de SCÈNES DE LA VIE CONJUGALE mais aussi de la cruauté moite et sensuelle des pièces de Tennessee Williams (« Un tramway nommé désir »), Levinson filme une joute verbale comme un feu ardent, une passion de la dispute qui lie et délie constamment le réalisateur à sa muse, l’amoureux à l’amoureuse. Au fond, l’un et l’autre se reprochent de s’appartenir. MALCOLM & MARIE est un film d’amour toxique sans jugement. En empruntant la grammaire singulière du cinéma moderne (le gros plan sur les visages, les acteurs filmés comme des énergies pures au-delà de la vraisemblance psychologique, le cinéma dispositif, le temps long) et en y injectant des corps, des thématiques, des nuances très contemporaines (#MeToo, le rôle politique de la fiction aux États-Unis, la déconstruction du regard masculin…), Sam Levinson réussit un film profondément singulier et, à la fois, presque déjà un classique. Un film comme un pas de côté, une synthèse en forme de point d’interrogation qui, même si elle s’inquiète, croit encore à l’évidence du sentiment et de la beauté. La façon dont Levinson clôt son film, tout en mystère apaisé, tout en doute serein, est une leçon à méditer.

De Sam Levinson. Avec Zendaya et John David Washington. États-Unis. 1h46. Le 5 février sur Netflix

5EtoilesRouges

 

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.