A SUN : chronique

04-02-2021 - 10:40 - Par

A SUN : chronique

Perdu au milieu du catalogue pléthorique de Netflix, A SUN, sorti en 2020, impressionne et impose son réalisateur comme un nom à suivre de très près.

 

Il faut à peine une scène d’introduction à Chung Mong-Hong pour hypnotiser et coller son spectateur à l’écran. Somptueusement cadrés et composés, les premiers plans imposent l’idée d’un cinéma de point de vue, une œuvre esthétique, sentimentale et radicale. Quelques notes de musique, la roue d’un scooter sous la pluie, les rais de lumière des néons dans les flaques, une succession d’écrans noirs qui nous fait progresser lentement, inexorablement, calmement vers une violence graphique et soudaine. Tout est là. Impressionnant mélo cathartique sur la culpabilité, chronique des deuils et des non-dits d’une famille lambda marquée par un drame, A SUN marie l’intime des grandes fresques familiales à l’hyper romanesque d’un cinéma de genre qui ne cesserait d’affleurer au bord du cadre. Mélo, polar, film de gangsters, film de fantômes, tout est là quelque part dans ces plans étrangement sereins qui débordent de cinéma. À l’instar du Wong Kar-Wai des débuts et de son art du télescopage pop des récits, Chung Mong-Hong tisse plusieurs fils en même temps, entremêle les destinées, les relâche, les rattrape au vol mais sans jamais surjouer l’hystérie narrative. Au contraire, A SUN semble toujours aller à son rythme, ose les ellipses radicales (un geste narratif très fort, pivot du film) et les digressions superflues passionnantes (une sublime transposition d’un conte traditionnel en animation, comme la clé pour comprendre un personnage), entretient le trouble et le mystère tout en restant proche, très proche de ses personnages. Chaque scène semble être ainsi un film en soi. Cette densité dramatique s’appuie sur un mélange de formalisme extrême et de minimalisme qui sature l’œil d’informations contradictoires. C’est beau, très beau, forcément parfois un peu déroutant mais l’attention que porte Chung Mong-Hong au parcours de ses personnages, la façon de les rendre sensibles au monde qui les entoure ne nous lâche jamais la main. Récit d’un pardon impossible, dissection d’un silence familial et de ses conséquences tragiques, A SUN a digéré toute l’émotion triomphante des récits classiques, toutes les ruptures troublantes de la modernité, toutes les afféteries et la pyrotechnie du cinéma contemporain pour en proposer un alliage périlleux mais solide qui transforme ces 2h36 en un périple de spectateur, un repas complet de cinéma. Roboratif, le film n’en laisse pas moins l’envie de voir vite, très vite, la suite de l’œuvre de ce cinéaste à l’ambition et à la virtuosité délicates. Du vrai grand cinéma qui n’a pas vraiment besoin de la taille de l’écran pour impressionner.

De Chung Mong-Hong. Avec Chen Yi-Wen, Samantha Shu-Chin Ko, Wu Chien-Ho. Taïwan. 2h36. Sur Netflix

4Etoiles

 

 

 

 

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