LA NUIT DES ROIS : chronique

08-09-2021 - 09:46 - Par

LA NUIT DES ROIS : chronique

Un méga-récit pourtant très ramassé où le réalisme magique ouest-africain rappelle la puissance de l’imaginaire. Bluffant.

 

On pourrait penser que la Maca, la prison d’Abidjan, est un lieu d’où l’évasion est impossible. Dans ce fort imprenable, aux embrasures minuscules, la tête et les idées devraient se heurter aux bas plafonds des geôles. Mais quand les yeux d’un détenu scrutent les étoiles et aperçoivent que la lune est rouge alors c’est la nuit du Roman. Barbe Noire, le Dangoro – le chef – de la Maca, est très malade. La loi de la prison veut qu’il doive se donner la mort. Pour faire diversion et parce que le ciel est avec lui, il nomme un nouveau Roman, un prisonnier qui doit raconter des histoires jusqu’au bout de la nuit. Il jette son dévolu sur un jeune pickpocket tout juste incarcéré. Le petit n’a rien à raconter et pourtant, sa vie en dépend. Sa tante était griotte, il doit bien y avoir quelque part dans son sang le talent de narrer… Alors Roman, d’abord balbutiant et chahuté par les moqueries, décide de raconter la grande histoire de Zama King, le chef du gang des Microbes qui fout la frousse à Abidjan. Roman est lui aussi un Microbe et surtout, il sera conteur. Ses récits vont être dansés, chantés et mimés par les prisonniers. D’un film d’abord verbeux va naître un spectacle total fait de souvenirs, d’histoires de Reine, d’armées et d’éléphant qui se change en serpent. Philippe Lacôte place son public parmi les détenus : les spectateurs sont fascinés par le récit de Zama King. Mais ils sont tout autant médusés du film qui se joue autour de Roman, de ces saynètes inspirées tels les chœurs de la Grèce antique alors que chacun des détenus joue son rôle dans la grande tragédie de la Maca. À mesure que Roman déroule son histoire, il gagne en assurance créant un vide de réalisme où s’engouffrent le fantastique et la légende. Soudain, c’est la rupture et les sujets politiques de la Côte d’Ivoire font une percée car les histoires ouest-africaines ont une structure très libre. Le dur quotidien côtoie les échappées belles expressionnistes, la vie en prison s’évade par la fiction. Même le cinéma s’invite au cinéma : dans LA NUIT DES ROIS, d’une beauté formelle renversante, on invoque LA CITÉ DE DIEU parce que l’imaginaire cinéma est intégré au réel, terreau de la fiction. Dans un jeu perpétuel de mise en abyme où les correspondances postmodernes sont nombreuses, le film de Philippe Lacôte serait comme un méga-récit qui aurait convoqué toutes les manières de raconter. Cette façon d’intégrer et de se délecter des possibilités infinies du storytelling lui donne l’aura d’un récit originel ou classique. La tragédie grecque bien sûr, et les enjeux shakespeariens – l’hommage est dans le titre – puisqu’on est aussi dans l’intrigue de palais. LA NUIT DES ROIS vibre ainsi d’être joyeusement ludique et profondément théorique. D’une richesse impressionnante. 

De Philippe Lacôte. Avec Bakary Koné, Steve Tientcheu, Jean Cyrille Digbeu. France / Côte d’Ivoire. 1h33. Le 8 septembre

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