THE CARD COUNTER : chronique

28-12-2021 - 18:15 - Par

THE CARD COUNTER : chronique

Un portrait de vétéran happé par la pesanteur du cinéma de Paul Schrader. Un excellent film de guerre, mental et vénéneux.

 

En ces termes, la voix off de William résonne : « J’étais un enfant américain : toute forme de confinement me terrifiait ». Cette jouissance de liberté, droit inaliénable pour ce pays, c’était avant qu’il ne soit incarcéré pendant 10 ans et qu’il n’aborde soudain son environnement et son comportement avec une méticulosité névrotique. Méthodique, il a appris à compter les cartes et depuis qu’il est sorti de prison, William, joué par un Oscar Isaac ténébreux et renfermé, écume les casinos pour gagner sa vie. En marge des tapis verts, un jour, sa curiosité est piquée par un congrès sur la sécurité et les armes de guerre, et sur une conférence sur les techniques d’interrogatoire, menée par un certain John Gordo (Willem Dafoe). Assis à ses côtés, Cirk (Tye Sheridan) l’observe et finit par l’aborder : son père est un ancien militaire. Il a pratiqué la torture à Abu Ghraib. Peut-être le connaissait-il ? Si William voulait mettre Bagdad derrière lui, c’est raté. Il prend Cirk comme apprenti et tous les deux partent sur les routes d’Amérique, suivis par La Linda (Tiffany Haddish), qui propose à William de mettre son talent au service d’un sponsor. De Motel 6 en casinos de luxe, de self-services en bars d’hôtel, William canalise, par sa seule volonté, la rancœur qu’il nourrit contre son propre pays, celui qui tue, torture et broie de la chair à canon. C’est cette même détermination, apprise à coups d’interrogatoires en Irak, qui lui vaut d’être un as des cartes. THE CARD COUNTER est un film concret qui, pour illustrer les paradoxes de l’Amérique, le rythme de « USA ! USA ! » scandés par le champion US de poker, un Ukrainien en perpétuelle démonstration de force dans son t-shirt floqué de la bannière étoilée. Par sa mise en scène mathématique, ses cadres minutieusement rangés, sa figuration inanimée, une certaine subversion de l’imagerie d’Edward Hopper, et ses nappes de sons signées Robert Levon Been (Black Rebel Motorcycle Club), Schrader écrase l’Amérique du poids de la mort et de la tristesse. Puis, quand le réel est trop lourd pour William, le réalisateur lui offre une échappée vers l’abstraction lors d’une magnifique séquence d’errance dans un décor de mille et une lumières. Comme dans FIRST REFORMED, le film solennel et sous tension laisse soudain exploser le fait divers, la vraie terreur, dans un jaillissement de violence que Schrader tente de contenir en off. Mais jamais le réalisateur, lui, ne « décroche » – le décrochage dans l’armée, comme le tilt au poker, ce sont ces moments où le sujet perd les pédales pour zéro résultat : au contraire, il tient son film, cohérent, solide, jusqu’au bout pour une morale ambivalente. Le traumatisme de l’Amérique n’a jamais tant confiné au sublime. 

De Paul Schrader. Avec Oscar Isaac, Tiffany Haddish, Tye Sheridan. États-Unis. 1h52. En salles le 29 décembre

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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