ATHENA : chronique

06-09-2022 - 21:56 - Par

ATHENA : chronique

Sur fond d’affrontement entre jeunes et CRS dans une cité française assiégée, Romain Gavras livre une grande tragédie sur la colère et la guerre. Un choc esthétique où les images racontent ce que les mots peinent à expliquer.

 

Une conférence de presse. Abdel (Dali Benssalah), militaire revenu du Mali, appelle au calme suite à la mort de son petit frère Idir sous les coups présumés de la police. Face à lui, derrière les journalistes, Karim (Sami Slimane), l’autre frère, et d’autres garçons se tiennent en rang serré. Bientôt, au signal, ils jetteront le premier cocktail molotov qui marquera l’assaut du commissariat, le vol d’un coffre-fort et le siège de la cité d’Athena. C’est dans un plan-séquence marathon, qui part d’un monologue, dégénère dans l’émeute puis dans une course poursuite sur le périphérique et se termine par une première victoire de Karim toisant, depuis le fort d’Athena, la police qui arrive par la route en contrebas que le film de Romain Gavras démarre, in media res. La défiance dans le regard de Sami Slimane est au la d’une ouverture que seul le mariage de l’arrogance, de la foi et du talent a pu créer et où la vitesse de la caméra, l’astuce de mise en scène et la précision technique laissent le spectateur stupéfait. Mais sceptique : comment le film peut-il se relever d’un tel coup de génie ?

Il s’en relève, imperturbable, guidé aveuglément par l’histoire tragique qu’il faut raconter. Au sein d’Athena, s’organise une résistance menée par Karim, homme de mouvement, colère incarnée. Face à un frère revenu du front et qui connaît trop bien l’engrenage qu’est la violence, un autre, Moktar (Ouassini Embarek), qui n’a d’autre maître que ses propres intérêts, il est le bras armé de la vengeance. C’est notamment dans ce personnage, joué avec une puissance magistrale par le débutant Sami Slimane, que Romain Gavras loge l’universalité de son propos. Il est tout à la fois un samouraï en mission, une déesse déchaînée de la loi du Talion, un chef de guerre – comme César dans LA PLANÈTE DES SINGES ou comme Maximus dans GLADIATOR, il est filmé par une caméra étourdie par son charisme –, une âme blessée qui aurait traversé toutes les époques depuis l’origine des récits. Il embarque avec lui, dans son sillon, des armées de jeunes tous revêtus d’un même jogging, des millénaires de rancœur. Ce serait facile pour Romain Gavras, coutumier des clips choc – « Stress » de Justice, « No Church in the Wild » de Jay-Z et Kanye West – de se ranger du côté des émeutiers, des jeunes pour qui il a créé tant d’images. Mais frappé par la maturité, il rajoute un point de vue à son récit qui le garde de tout parti pris populiste : celui d’un CRS (Anthony Bajon, vecteur indéniable d’empathie), prisonnier, gagné par la terreur que lui fait subir Athena. Même si le film dévisse et que les personnages deviennent incontrôlables, là encore, par la clairvoyance du scénario et du point du vue politique de ses scénaristes – dont Ladj Ly, réalisateur des MISÉRABLES –, le récit trouve toujours de quoi s’extirper du schéma binaire police vs. jeunes. De toute façon, quand on filme la violence à l’aide d’une iconographie totalitaire, on est finalement assez clair sur son propos.

Au-delà de la tragédie grecque qui se joue sur la dalle de la cité d’Athena, c’est un opéra qu’a conçu Gavras. Il y a les chœurs, très solennels, qui résonnent entre les tours, il y a les mouvements de caméra amples, labyrinthiques, qui confèrent au film un lyrisme foudroyant ; les chorégraphies des figurants rapprochent aussi ATHENA d’un ballet majestueux. Quand un grand cheval blanc apparaît entre les barres d’immeubles, le surréalisme vient bouleverser l’expérience du spectateur, pris en étau entre le réalisme cru du « film de banlieue » et des images venues d’ailleurs, du gouffre de Helm ou d’Hollywood. Choc esthétique et politique – le film finit sur un propos très actuel –, ATHENA s’impose comme l’un des meilleurs films français du XXIe siècle.

De Romain Gavras. Avec Dali Benssalah, Anthony Bajon, Sami Slimane, Ouassini Embarek. France. 1h37. Sur Netflix le 23 septembre

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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