BLACK PANTHER – WAKANDA FOREVER : chronique

08-11-2022 - 21:34 - Par

BLACK PANTHER – WAKANDA FOREVER : chronique

Forcément émouvante, cette suite de BLACK PANTHER déçoit pourtant, par son utilisation outrancière du numérique et certains enjeux déjà vus.

 

En portant sur grand écran les aventures du premier super-héros africain – créé par Marvel dans les années 60 –, Ryan Coogler se montrait à la hauteur de la portée politique de Black Panther. Les enjeux de son film se révélaient plus complexes, plus nuancés que le tout-venant des comic-book movies, orchestrant l’affrontement de deux idéologies animant les communautés noires et leur combat contre la suprématie blanche : l’une pacifiste, voire récessive, reflet à peine déformé des pensées de Martin Luther King, incarnée par la régence inclusive de T’Challa ; l’autre offensive, dans la mouvance de Malcolm X, incarnée par le ‘Black Power’ de Killmonger. Pour la première fois dans un film Marvel, le spectateur pouvait comprendre les motivations, voire prendre le parti, de l’antagoniste et à la fin, le super-héros se trouvait profondément changé par son interaction avec « le méchant » du film. Ainsi le Wakanda, jusque-là caché et isolé, prenait une place à part entière dans la géopolitique mondiale, T’Challa désormais décidé à mettre la fortune de son pays au service des populations opprimées.

Quatre ans plus tard, Chadwick Boseman n’est plus là et Ryan Coogler, dont le rapport à ce deuxième film doit être particulièrement ambigu, a opté pour la colère et le désaveu. T’Challa est mort d’une subite maladie. Shuri, sa sœur et éminence grise du Wakanda, n’a pas pu le sauver. Le Wakanda, désormais dans les mains de Ramonda, la mère de T’Challa, devient la proie de nombreux pays souhaitant mettre la main sur le vibranium. Voyant dans la mort de Black Panther, le deuil profond dans lequel le Wakanda est plongé et cette nouvelle gouvernance féminine des signes de faiblesse, l’Occident, malavisé, se montre particulièrement agressif dans sa volonté de piller la richesse africaine. De quoi faire regretter aux Wakandais de s’être ouverts au monde. Alors que des forces étrangères parviennent à détecter du Vibranium sous terre, c’est un autre peuple caché qui se retrouve en danger : celui de Namor, la grande force de ce WAKANDA FOREVER (d’autant que la performance de Tenoch Huerta est impressionnante d’intensité) et sa plus grande faiblesse. Car Namor, roi des profondeurs, va faire de Wakanda la cible de toute son ire. Élément déclencheur arbitraire, voire gratuit, il se tourne vers Ramonda pour lui livrer un ultimatum : comme c’est à cause de T’Challa que son royaume est attaqué (ça se discute), il donne aux Wakandais le choix de se rallier à lui et à son peuple pour détruire le reste du monde, sans quoi il se retournera d’abord contre eux et causera la chute du Wakanda. Shuri, dont le deuil s’est transformé en désespoir, n’est pas totalement indifférente à l’histoire de Namor. Il vient d’un peuple mésoaméricain du XVIe siècle, dévasté par les maladies importées par les colons. La mère de Namor « était humaine, jusqu’à ce qu’elle devienne autre chose ». Il est né sous la mer, à Talokan, la cité sous-marine créée par son peuple. Une longue séquence de WAKANDA FOREVER explique l’enfance de ce garçon triste, fort dans l’eau, honni des Catholiques sur terre. Sublime morceau de cinéma, où l’on retrouve enfin le regard poétique et féroce de Ryan Coogler.

Quel dommage : prisonnier des nuances politiques dans lesquelles se doivent de baigner ses films, Ryan Coogler a écrit un méchant dont les motivations sont les mêmes que celles de Killmonger – sans toutefois la dimension réellement shakespearienne – pour des enjeux similaires et un conflit « héros / antagoniste » aux complexités proches de celles du premier film – à la différence notable que l’impact de cet affrontement sur la philosophie même des Wakandais sera, spoiler alert, proche de zéro. Le spectateur entretient alors un rapport très conflictuel avec ce méchant. Peu engagé dans l’affrontement au cœur du film, voire un peu désabusé par cette impression de copié/collé, on est pourtant hypnotisé par chacune des apparitions de Namor et de ses combattants. À chaque fois élevée par un thème visionnaire de Ludwig Goransson – dont le score vaut bien plus que tous les morceaux pop qui émaillent maladroitement le film mais vont assurer le succès de la BO en vente depuis quelques jours –, chacune de leurs scènes plonge le film dans une spiritualité, une brutalité et un mysticisme fascinants. Dès que WAKANDA FOREVER se rattache à l’Histoire, aux traditions, aux légendes, il est fort de la sincérité de Ryan Coogler, de ses émotions entières, de cette perspective forgée au cinéma d’auteur. Dès que le film s’arrête pour débattre, discuter, s’interroger, il est porté par le point de vue politique, la force de caractère et les questionnements profonds de son réalisateur. Dès que WAKANDA FOREVER est un film de super-héros, il s’écroule.

La nature spectaculaire du premier BLACK PANTHER reposait peu sur l’imagerie numérique. Mise à part la scène de combat souterraine entre Killmonger et Black Panther, pas lisible et ingrate, les effets spéciaux étaient de qualité mais c’étaient surtout l’authenticité et l’humilité de l’histoire, le soin apporté aux décors, aux costumes, au « world building » de Wakanda qui assuraient le spectaculaire. L’effet de surprise passé, Marvel tente de jouer l’épate avec ce second volet, en tartinant l’écran de SFX ratés – seuls les effets aquatiques sont réussis. Entre un vaisseau wakandais et des panoplies tout droit sorties de X-OR, des scènes d’action qui semblent avoir été tournées dans un studio de 20m2 (rappelant la fin de CIVIL WAR et sa bataille rangée sur un parking), des fonds verts atroces, le film souffre de tous les symptômes de la maladie des blockbusters modernes. Parmi lesquels les pires : la greffe forcée au MCU, avec l’introduction pénible et hâtive de Ironheart – dont la série qui lui est dédiée débarquera bientôt sur Disney+ – et l’humour pas drôle du fameux « comic relief », rôle confié au meilleur personnage de BLACK PANTHER, Okoye (Danai Gurira), devenu a fortiori l’un des pires. Quoi que lui dispute le titre, Aneka, jouée en mode cringe par Michaela Coel, pourtant l’une des Dora Milaje les plus charismatiques des BD.

Il y avait très probablement la peur que ce BLACK PANTHER : WAKANDA FOREVER soit trop grave, trop triste pour le grand public. Nul doute que la plupart des larmes versées dans le film par Shuri, Okoye ou Nakia en pensant à T’Challa sont les larmes versées par Letitia Wright, Danai Gurira et Lupita Nyong’o en pensant à Chadwick Boseman. Même si les fans du MCU ont été choqués par la mort de l’acteur – au même titre que tous ceux qui aiment simplement le cinéma –, ce n’est probablement pas le rôle d’une superproduction Marvel de pleurer son héros pendant 2h42 et d’abattre le quatrième mur à ce point. Pourtant, malgré les impératifs commerciaux, Ryan Coogler est parvenu à faire du film une messe, une cérémonie du souvenir bouleversante. Que le logo Marvel ne soit composé que du visage de Boseman, que le film se termine en une minute de quasi-silence illustrée de brèves séquences de BLACK PANTHER, l’hommage est solennel. L’acteur manque – et pas seulement parce que Letitia Wright n’est pas franchement à la hauteur du costume. Il manque et en même temps, son absence nous rappelle que la forteresse Marvel, bulldozer d’Hollywood, est perméable à la peine et aux failles. C’est un film triste, parce que BLACK PANTHER 2 ne pouvait pas être à la hauteur de BLACK PANTHER. Tout l’argent du monde n’y a rien pu faire.

De Ryan Coogler. Avec Letitia Wright, Lupita Nyong’o, Danai Gurira. États-Unis. 2h42. Sortie le 9 novembre

 

 

 

 

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